samedi, juillet 22, 2006

FUTUR-INTERIEUR


Tu sais, -non, tu ne sais pas, c’est juste un effet de style, une manière à moi de me rassurer, parce que c’est moi qui ne sait pas, en fait, tu sais : quand je te parle pendant ces heures, assis si près de toi, que tu m’écoutes, que je lis dans tes yeux des choses qui me font croire que tu comprends, partages, anticipes, voyages, des choses qui ne me font croire en rien du tout en fait, des choses qui me laissent croire, elle est là toute la beauté de tes yeux – tu sais, assis dans les douves avec toi, à relire tous les deux ces lettres qu’on s’écrivait il y a tellement longtemps, il y a un siècle ou deux, je partage avec toi des instants de sensation que je n’ai jamais connus, que personne d’autre en moi n’a jamais connus, que personne d’autre, en dehors de toi et moi, ne connaîtra jamais ; je sais enfin qui je suis, et tes yeux me disent que tu sais qui tu es.
Ce n’est pas le contenu des lettres qui est douloureux à lire, malgré les larmes qui sont encore en train d’y sécher ; c’est notre complicité passée qui s’en dégage, qui voulait dire tout autre chose que de l’amitié. Moi je le savais.
Tu sais, assis dans les douves à relire toutes ces lettres, à regarder ton visage marqué par tout ce temps que nous n’avons pas passé ensemble, je pense à ces hivers où je n’étais pas là, où nous ne savions plus que nous existions l’un et l’autre, et j’ai presque envie de hurler quand au détour d’une phrase, tu me l’écrivais, que je n’étais pas là, que tu t’étais débrouillée. Peut-être le hurlais-tu.
Conditionnel Printemps, plus-que-parfait de l’été, automne du subjonctif, prétérite des hivers passés. Tu sais, assis seul dans les douves, une fois que tu es partie rejoindre ta réalité, j’invente des nouveaux temps pour parler de toi, de nous, et essayer de nous conjuguer. Et puis il y a celui que j’appelle futur intérieur, et c’est pour un temps la seule façon qu’il me reste pour t’exprimer. Tous les verbes sont au présent, mais on ne s’en sert que pour parler de choses qui n’arriveront jamais. Parce que tu as compris trop tard que tu m’aimais. Tu ne me l’as pas dit, je sais – et là c’est un effet de style qui ne va pas pour me rassurer- mais j’ai tellement peur que ce soit ta manière de penser ; ta manière d’éviter de devoir confronter un jour les deux réalités.
J'ai presque envie de me couper les doigts quand je me mets à écrire comme ça.



[Intra-Muros] [16]

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Je conjugue dans le futur
ce que tu m'offres à présent
Le destin a plus fière allure
D'un pluriel face au néant...
Conditionnels et subjonctifs
Peuvent se conjuguer aux êtres,
Hier, aujourd'hui, demain peut-être
Ramènent à l'infinitif...
Pronoms relatifs assemblés
De quotidiens décomposés
Reste ce présent imparfait
Faute de savoir conjuguer...

Voilà, Voiker, je t'offre ce texte, un peu prosaïque, que j'ai écrit il y a quelques années. Nous vivons tous les mêmes histoires, réelles ou rêvées et finalement, nous écrivons des choses qui se ressemblent un peu...

C'est ce que m'a rappelé l'esprit de "Futur intérieur", un beau poème.

Cela dit, profite de la campagne, il fait si beau, l'été a son charme... Je te laisse, je vais écouter une ode à Pascal/St Augustin (face aux Jésuites !)sur la 2. Bonne journée !

D'Arcy a dit…

Merci, Delie. Ton poeme est beau et vient me construire un peu. Profiter. De la campagne. Ne plus penser a rien. ou a si peu.

gmc a dit…

ils peuvent encore servir tes petits moignons boudinés...

D'Arcy a dit…

Pour mélanger la soupe, peut-être...

Anonyme a dit…

une soupe aux doigts,
je n'ai pas pu acceder à ces textes ce week-end, c'est bête et mystérieux.
En tous cas ce texte est très beau et sensible avec le jeu entre passé, futur présent d'une histoire à l'autre . @++

D'Arcy a dit…

Je vais debuguer tout ça..... merci pour l'attention portée.

Unknown a dit…

je suis restée un long moment sur ce texte, qui s'adapte comme un gant ( jeux de mots malheureux, maladroit...en pensant à la fin...) à toutes ces histoires d'amour déroutées ( là aussi cette réflexion est décalée au fait qu'on pense avoir vécu seul cette histoire et d'être les seuls à souffrir de ces ruptures )

enfin trés joli texte encore.... racontée avec ta voix, elle doit être superbe...

ps:
en fait alors que je voulais mettre un commentaire sur ce beau texte, j'ai aussi accroché au poème de délie... trés jolie poésie :)
a t'il un blog, un site...?

D'Arcy a dit…

Airlibre> Etonnant pour moi de découvrir que certains, certaines ,comme toi, tombent parfois sur des textes anciens de moi. Que les paged actualisées de la page d'accueil d'un blog n'occultent pas pour autant l'accès au passé à ceux qui le cherchent.

Merci de ta lecture.
Pour Délie, elle n'a pas d'addresse, sans pour autant être maladroite.

V.