jeudi, septembre 28, 2006

LE-CLOS


Bicarbonate de mémoire, dioxyde de confusion, bromure de souvenirs, émulsion des émotions, sulfate des mots, permanganate des sens, classification périodique des éléments sentimentaux, tableau désordonné des impressions présentes et passées. Passablement dépassé par les événements. Soleil couchant, puis couché, dans la cour intérieure en vieux pavés du Clos Saint-Jacques, pavés scellés depuis des temps immémoriaux et qui parachèvent toute l’intimité que l’on peut ressentir en ce lieu, tapie dans les coins, à tous les niveaux.

Entre les pierres dont le temps a bombé l’agencement qui se voulait régulier, pousse une fine herbe que les pas des invités n’arriveront pas à effacer et qui fait ressortir la forme spécifique de chacune d'elles, mettant en relief l’incroyable unité née de leur juxtaposition. Cette cour traversera encore longtemps le temps; même si la nature tente de prendre le dessus ; tout comme la vie quotidienne qui ensevelit systématiquement les instants; tous ceux qu’elle crée pourtant elle-même. Ce soir, chaque souvenir est un pavé. Et chaque invité, un pavé; de souvenirs.

La cour humide scintille dans la nuit, sous la fraicheur apaisante d’une fine pluie de minuit. Reflétant les visages, les intonations et les postures oubliées de tous ces camarades que je retrouve à présent, sous la lueur diffuse des bougies traçant au sol des directions insolites à des retrouvailles de vingt ans. Dans la chimie des relations humaines, dans l’alchimie des correspondances, la symbolique du lieu et du temps arrêté sur hier, je détruis les souvenirs qui auraient peut-être pu survivre encore comme tel, pour réinjecter leur essence dans le présent. Je me sens flamboyant à l’intérieur, me rendant compte qu’ils n’ont pas vieillis ; je les replace simplement sur le haut d’une pile alourdie par les couches successives de ma vie, tels qu’ils étaient. Tels qu’ils seront à jamais.

Elle est là, au milieu de la cours, figée dans l’éternel, statue dans le jardin de mon imagerie personnelle. Je m’approche d’elle, je tremble autant qu’elle. Même si cela se voit peut-être un peu moins chez moi ; le temps a commencé à la rattraper, moi qui n’en suit encore qu’à m’y préparer par tous les moyens. Inimaginables. Ses yeux bleus se posent sur les miens ; comme quand j’assistais à son cours de français, je me sens surexposé par l’intensité de son regard, qui parle de lui-même. Elle a pris le temps de me lire avant ce soir. Elle me demande ce que je souhaite dire quand j’écris. Je lui parle de redéfinition des évidences, et je lui parle d’Amour. Elle m’assoit sans transition sur un rivage de sa vie ; juste un bouquet de mots choisis pour me parler de cet amour intense qu’elle a connu quand elle avait trente-six ans. Intense, si intense, trop intense. Feu de paille. Je lui parle de celui qui me consume, la relation immédiate et exacte avec cette femme que je connais -je pense- depuis trois cent ans. Et pour déjà encore au moins aussi longtemps. Je lui dis que l’amour pour moi est un feu de forêt. Elle me sourit. Si vraie.

Dans cette cour.
Cette cour qui traversera encore longtemps le temps.


[Intra-Muros] [24]

jeudi, septembre 21, 2006

FOOT-KILLING-TIME



Je prends mon pied au bureau.
21 septembre 2006, 13:33


[Recadrage] [3]

jeudi, septembre 14, 2006

PANDORA-POINT-COM



Issu du Music Genome Project.
Pandora est un incontournable désormais.

HUGO


C'est au numéro 47 de la Eekhoutstraat, petite rue discrète qui mène au Beffroi de Bruges, que vivrait encore Hugo Van Herck. Beaucoup le prétendent à moitié fou. Tous ceux qui le prétenderont ainsi, aussi. La maison est un peu austère, pignon à gradins du XVIIème siècle ; les briques noircies de la façade s’éclaircissent très légèrement sous les croisées des fenêtres. Son appartement de caractère reproduit très exactement les traits du sien : un subtil arrangement poli par le temps qui associe, sans faute de gout, les formes les plus humbles de la convivialité et de la sobriété. On se sent bien entre ses murs ; combien sauraient vous dire, après quelques heures passées chez lui, quel fut son passé, en eut-il eu un… Hugo savait si bien rester cet inconnu assis à son piano toute la nuit; je veux croire que chaque morceau qu’il jouait pendant la soirée était l’expression même de l’un de ses multiples passés ; qu’il nous racontait des pans entiers de vies en tournant les pages devant lui.
Je ne me rappelle pas avoir jamais rencontré quelqu’un que je connaisse lors d’une de ces soirées impromptues, proposées aux hasards de la rue, quelques invitations écrites à la main et laissées dans certains bars de lui seul connus ; à une heure donnée, il ouvrait simplement sa porte à ceux qui souhaitaient l’écouter, dans ce chez lui que chacun pouvait si facilement s’approprier. Il jouait de ses doigts jusqu’à plus d’heure, souriait à tous ces inconnus, à toutes ces inconnues, et avait ce don de transformer en mélomane jusqu’à la plus aigrie des âmes perdues. Je me demande encore parfois s’il était artiste ou magicien. Ses notes remplissaient l’air suranné de la pièce comme les bulles peuplant nos flutes de champagne, toujours emplies discrètement par son épouse dans nos moments d’inattention.
Ce que personne ne remarquait, c’est qu’à cette heure de la nuit où demain devient aujourd’hui, Hugo laissait toujours glisser ses doigts sur une gamme ascendante, si bémol mineur harmonique, 5 bémols à la clef, La bécarre. Ce que personne ne remarquait, car les rideaux étaient tirés, c’était ces quelques voisins silencieux et transis qui prenaient place sur l’appui de fenêtre, s’étant absentés de la flèche de métal à laquelle ils passaient leurs journées accrochés, là-haut, au-dessus des façades ; on y retrouvait, invariablement, le Dragon, de la maison du même nom, située un peu plus loin dans la rue ; L’Archer, du 219 sur Gapaardstraat ; le Chien Blessé de la flèche de l’hôtel d’Amsterdam ; L’Ours de l'angle des Halles. Enivrés par les rêveries musicales de Hugo, ils se racontaient ces couples qu’ils ont vu errer près des canaux ; se racontaient leurs murmures ; leurs baisers qui durent.

Jusqu’au matin.


[Intra-Muros] [22]

vendredi, septembre 08, 2006

CERF-VOLANT


J’envie mes deux pieds posés sur le sable, qui souffrent peut-être sous mon poids, mais qui jouissent pour l’instant du privilège d’être redescendus au niveau de la mer. Le ciel lointain se verse sciemment un fond de rosé, le ventre des nuages s’empourpre. Je médite sur la différence entre soir et soirée. Batz-sur-mer.
La plage est largement dévidée. Je ne vois sur son flan sablonneux que des enfants ; même ce couple de vieux, assis près d’un rocher, immobile dans le temps ; leur canne à la main, rêvant de rêver encore. Plus loin, certains marchent, d’autres jouent; d’autres encore.
Une estafette s’est arrêtée près du ponton. Trois pêcheurs s’y affairent à l’arrière, préparant leurs cannes, leurs hameçons, leurs rêves de petit garçon. Des pêcheurs de nuit. Quel genre de poisson peut-on pêcher à cette heure-ci ? Des poissons lune prendront-ils tout à l’heure leur bain de minuit par ici ?
Le phare de l’Ile-Dieu étoile par intermittence l’horizon de manière hésitante. J’aime à croire qu’il est fixe et que c’est l’île qui tourne en rond. Mais je sais bien que c’est moi. Le faisceau de lumière continue de décrire son large cercle ; que cherche-t-il au fond… Certains rochers te raconteront, si tu viens, que parfois la lumière s’arrête sur les oiseaux dissipés, pour les ramener jusqu’au phare, et qu’ils se consument dans son halo comme le font les moustiques dans les flammes des torches que l’on plante dans le jardin l’été.
J’ai laissé cet autre moi dans la voiture, et j’espère qu’il s’est évanoui à l’heure qu’il est. Il a passé la journée au volant aujourd’hui, depuis Arles. Jusqu’ici. S’il était descendu de voiture, il se serait assis sur le trottoir, les yeux dans la mer, les bras reposant écartés, les veines tranchées, laissant filer leur carburant dans deux seaux remplis de liquide de batterie, y créant des précipités de sentiments acerbes, déformés, illusoires. Déchirés. Meurtris. Expression artistique directe des émotions. Sans pinceau. Ma vérité se déversant au fond des seaux.
Le vent se lève, et le cerf-volant qu’il emmène aussi. Courbures lentes puis rapides, verticales, sursauts, cambrures, tracés sur la boucle imaginaire de l’infini. Sa vie qui ne tient qu’à deux fils. Je donnerais tout pour en faire de même avec le fil de tes pensées, le serrer très fort autour de mes poignets, me laisser entraîner, ne plus jamais devoir rembobiner la mémoire que j’en ai ; te sentir vibrer dans mes mains. J’aimerais tant aussi que nous soyons ces deux fils, modestement parallèles, qui s’élèvent dans le ciel, qui guident cette pièce de tissus tellement imprévisible et si belle à suivre; toujours équidistants, toujours dépendants, inséparables, qui parfois s’emmêlent, se démènent, se démêlent, qui s’animent et créent la beauté du mouvement dans l’instant ; matérialisent le vent. Que quelqu’un nous tienne dans ses mains, et nous prenne en main ; quelqu’un de bien, comme le destin.

Au Fil du temps. Au Fil de l’eau.
Le temps qui flotte; Les vagues s’y s’égrainent.


[Intra-Muros] [21]

mercredi, septembre 06, 2006

PEAU-AIME-(26)

Regarder tout ce temps qui passe,
les yeux posés sur la rivière,
attendre un bateau qui passe:
en papier, maladroit mais fier.

Te regarder, que tu ne t'en lasses.
S'embrasser de la même manière.

[Repos] [Voiker]

dimanche, septembre 03, 2006

NARVAL


L’air ambiant, ses bouffées de chaleur matinale, m’avaient entrainé, à demi-somnolent, au-delà des onze heures du matin. J’étais encore assis à la table du petit-déjeuner sur la terrasse, désertée depuis bien longtemps par un couple de touristes hollandais ; servie, desservie puis abandonnée par les propriétaires de ma chambre d’hôtes, partis pour le marché entre deux tintements de cloches du village. La table est blanche et ronde, ou carrée, en fer forgé. Je ne suis que raisonnablement étonné quand une petite escadrille de corbeaux s’y pose, cinq oiseaux noirs formant à sa surface un W parfait. Ou un M, eussé-je été assis de l’autre côté. C’est l’absence de bruit lors de leur atterrissage qui retient mon attention. D’une manière nonchalante, je bascule ma chaise vers l’arrière et, tendant le bras, mime celui qui tourne le bouton d’un transistor pour monter le son. Les claquements d’ailes me parviennent enfin, décalés. Je les regarde un par un, puis les cinq à la fois ; ils sont tous identiques ; peut-être celui du milieu est-il légèrement plus noir ; difficile à voir, difficile à dire. Et difficile à croire.
Alors que je saisis d’une main lente celui du milieu et commence à le soulever, les quatre autres se mettent à me parler de manière simultanée. Leurs voix monocordes s’accordent parfaitement pour me conseiller de prendre enfin mes rêves pour la réalité ; qu’ils ont noté à l’instant que le décalage s’opérait, mais que l’inversion demanderait encore quelques efforts ; que ces efforts doivent œuvrer au détachement irrémédiable de l’inexactitude des autres. Je leur avoue avoir bien conscience que cet été sera meurtrier, crucial, « fatal » tu dirais. Ou glacial : je rêve de partir vers le cercle polaire, me changer en narval, nager sous les glaces avec les épaulards dans une eau purifiée en-dessous des moins deux degrés, oublier la seconde passée et mépriser celle qui vient, me faire harponner par un baleinier et l’entraîner dans les courants marins, avant de finir en pâture aux requins dans le silence bleuté et les ballets sans fin des autres licornes aquatiques.
Je ne t’ai pas entendu arriver ; tu te poses sur une chaise à mes côtés, et entame à voix discrète «invitation au voyage». Une fois la lecture terminée, tu me fais remarquer que mes vêtements sont détrempés.

Les corbeaux se sont volatilisés. Tu me dis que la lettre M, c’est ton mot préféré ; que je saurais jouer du piano, même dans l'eau glacée. C’est ma réalité qui te fait rêver.


[Intra-Muros] [20]