vendredi, juillet 28, 2006

STAND-BY

Sur le départ, pour un peu plus tard, aujourd'hui. Dans la nuit d'aujourd'hui.
Des vacances au hasard; des lieux, des gens.

Tester l'évidence; reste-t-il des gens capables de sortir de leur château fortifié ? Le monde s'est-il définitivement arrété, les yeux au fond des caddies du supermarché ? Restent-ils des gens capables de ne pas prendre les autoroutes ? Qui sont ceux qui dorment encore dans les hotels en face des gares, une vieille peinture effacée de Dubonnet ou Michelin sur le côté, maquillage d'une vieille artiste dans une salle qui l'a oubliée ?

J'attends beaucoup de moi.
J'essaierai d'être ici et là, je posterai ce que je peux.
Pas une question de temps; une question de choix, laissés aux soleils de l'errance.
Et puis cueillir une tulipe sur le bord de la route, un jour, même en été. Et voir un dragon, en vrai, pour de vrai.

mardi, juillet 25, 2006

DE-GARES-ET-D'ENCENS


Ce qu’il me manque encore parfois aujourd’hui, -puisque l’on finit toujours par ne jamais s’habituer à son absence, à l’absence- c’est l’odeur et les formes, brumeuses et incertaines, de l’encens qui se dégageait de sous le corps monstrueux et puissant des locomotives quand elles envahissaient ou quittaient les gares. Cet encens servait, j’en suis sûr, à abriter certains regards, à en faire naître d’autres, plus fins, des regards pour avouer les émotions du départ, des regards hagards, hachurés de contradictions, de non-dits, de déceptions, début ou fin d’une histoire, l’un s’en va, l’autre s’égare, s’efface lentement, s’enfonce en lui-même. Sur le quai de la gare. Parfois jusque sous la gare.
Je crois en l’existence d’une confrérie secrète qui comprend le cœur de certains irréductibles ; qui s’affaire à faire en sorte que la non ponctualité des trains remplisse ce rôle longtemps tenu par l’encens qui s’échappait des trains, laissant dans les secondes incandescentes, disponibles et incertaines de l’imprécision du temps, la possibilité de se dire encore des choses, ou de s’imaginer se les dire déjà ; des fenêtres intemporelles ouvertes pendant quelques instants encore, qui précédent l’avalanche incontournable des séparations irrémédiables, irrévocables, irréparables ; des retrouvailles irrésistibles, irréversibles, irréelles, et les plus belles, les rencontres irrationnelles. Emergence, dans l’immédiateté, d’un nouveau monde, qui disparaît presque aussitôt dans l’urgence imposée de s’en tenir aux cadences programmées des voies ferrées.
Razant les bordures, certains emmènent en voyage leurs maux, qu’ils trainent en eux, éreintés. Certains se transforment lentement en fardeau au fur et à mesure de leur progression sur le quai. D’autres partent sans raison, s’imaginent partir pour une bonne raison ; arriveront avec une autre. Plus belle. En trouveront d’autres au cours des conversations…D’autres encore reviendront, en silence ; à tord ou à raison. D’autres ne reviennent jamais. Il n’y a pas que les trains qui déraillent. Il y a les gens aussi.
Je suis assis, dans un train immobile ; un wagon désaffecté qui m’emmène vers la permanence du nouveau monde ; toutes ses fenêtres sont brisées. Air frais.



[Intra-Muros] [17]

lundi, juillet 24, 2006

DEFINITION-DE-L'ADVERBE





Eperdument

samedi, juillet 22, 2006

FUTUR-INTERIEUR


Tu sais, -non, tu ne sais pas, c’est juste un effet de style, une manière à moi de me rassurer, parce que c’est moi qui ne sait pas, en fait, tu sais : quand je te parle pendant ces heures, assis si près de toi, que tu m’écoutes, que je lis dans tes yeux des choses qui me font croire que tu comprends, partages, anticipes, voyages, des choses qui ne me font croire en rien du tout en fait, des choses qui me laissent croire, elle est là toute la beauté de tes yeux – tu sais, assis dans les douves avec toi, à relire tous les deux ces lettres qu’on s’écrivait il y a tellement longtemps, il y a un siècle ou deux, je partage avec toi des instants de sensation que je n’ai jamais connus, que personne d’autre en moi n’a jamais connus, que personne d’autre, en dehors de toi et moi, ne connaîtra jamais ; je sais enfin qui je suis, et tes yeux me disent que tu sais qui tu es.
Ce n’est pas le contenu des lettres qui est douloureux à lire, malgré les larmes qui sont encore en train d’y sécher ; c’est notre complicité passée qui s’en dégage, qui voulait dire tout autre chose que de l’amitié. Moi je le savais.
Tu sais, assis dans les douves à relire toutes ces lettres, à regarder ton visage marqué par tout ce temps que nous n’avons pas passé ensemble, je pense à ces hivers où je n’étais pas là, où nous ne savions plus que nous existions l’un et l’autre, et j’ai presque envie de hurler quand au détour d’une phrase, tu me l’écrivais, que je n’étais pas là, que tu t’étais débrouillée. Peut-être le hurlais-tu.
Conditionnel Printemps, plus-que-parfait de l’été, automne du subjonctif, prétérite des hivers passés. Tu sais, assis seul dans les douves, une fois que tu es partie rejoindre ta réalité, j’invente des nouveaux temps pour parler de toi, de nous, et essayer de nous conjuguer. Et puis il y a celui que j’appelle futur intérieur, et c’est pour un temps la seule façon qu’il me reste pour t’exprimer. Tous les verbes sont au présent, mais on ne s’en sert que pour parler de choses qui n’arriveront jamais. Parce que tu as compris trop tard que tu m’aimais. Tu ne me l’as pas dit, je sais – et là c’est un effet de style qui ne va pas pour me rassurer- mais j’ai tellement peur que ce soit ta manière de penser ; ta manière d’éviter de devoir confronter un jour les deux réalités.
J'ai presque envie de me couper les doigts quand je me mets à écrire comme ça.



[Intra-Muros] [16]

jeudi, juillet 20, 2006

PROPENSION


Je voudrais que tu me regardes, et que tu m'écoutes jusqu'à la fin dans les yeux. Je voudrais te parler de quelque chose d'important pour moi. Te parler de la propension des choses, cette faculté enfouie en elles, qui fait que ne leur arrivent finalement que ce qui pouvait leur arriver. Leur arriver de mieux ; puisque c'est leur configuration innée, au départ, à l'arrivée. Puisque. Je ne veux pas te parler du destin, que je laisse aux crédules en festin; je veux te parler de la force latente des choses, leur avidité, leur désir immodéré et muet de se rendre vers où leurs sens se tendent, quand quelque chose ou quelqu'un leur délie les mains pour les libérer. J'irai même jusqu'à t'avouer croire en l'émotion des choses.
Je me souviens, enfant, de ce crayon et de cette gomme ; mon sourire triste et entendu quand, bien avant d'avoir actionné ce doigt qui sert à lancer une bille, je regardais la gomme, sachant déjà bien qu'elle n'irait pas bien loin. Le crayon, lui, m'attendait là, il était prêt à accepter le contact avec mon doigt, il était prêt à partager la complicité de celui qui saurait se rendre compte qu'il n'était pas seulement fait pour t’écrire, qu'il était bien plus heureux à rouler sur la table, maintes et maintes fois, et qu'il pourrait même se permettre des variations musicales pour exprimer sa joie, table en métal ou table en bois, chutes verticales, rebonds et silence terminal à plusieurs mètres de moi. J'applaudis. Et toutes ces étoiles, ces cercles, ces gravitations qu'il dessinait sur la persistance de mes rétines quand je lui donnais l'impulsion sur un côté. Nous étions faits pour nous entendre ; j'admirais ses fantaisies, aux antipodes de ce que les autres attendaient, résignés, de lui, et il me le rendait bien. Ce crayon, je l'ai ressorti récemment, après un long sommeil de vingt ans. Il tremblait entre mes doigts.
Si tu me regardes toujours, …, si tu me regardes toujours, je dois t’avouer qu’en fait je voulais te parler de ma propension à t'aimer. Mais là, c'est toi qui m'expliqueras. Pourquoi. Pourquoi toi, et pourquoi moi.


[Intra-Muros] [15]

mercredi, juillet 19, 2006

PEAU-AIME-(23)

Seul depuis si longtemps
Peau brulée par les rayons ardents
Dérivant dans l’éternité du temps
Et les cheveux bousculés par le vent
Il meurt
Enfin la vie
Il a quitté le désert pour les eaux pures
Il est tombé à genoux, poings serrés
Déchainé
Enfin la liberté
Nul ne saura jamais
Que le lieu de son départ
Est le cimetière des autres
L’âme libérée, les yeux sans reflets
La bouche ensablée prononçant ton prénom
La main crispée sur ton seul souvenir
-tu es loin-
Enfin te retrouver
Il réfléchit pour la dernière fois. « Je suis moi »
Mort paisible de celui qui t’aimait

[Mort désertique] [Xavier pour D.] [19 mai 1985 - 21h] [2/2]

PEAU-AIME-(22)

Plus profond encore
Mes oreilles bourdonnent
Je me noie
Les yeux ne pleurent pas
Les sentiments ne sont plus là
Je me noie
L’eau est bleu pâle
Le monde est trop calme
Je me noie
J’abandonne enfin, j’attends
Dérive lente dans cet océan
Pour la dernière fois
Enfin je suis nature, unité
Depuis si longtemps que je te voulais
Maintenant je te vois
Baisers salés

[Noyade] [Xavier pour D.] [19 mai 1985 - 21h] [1/2]

mardi, juillet 18, 2006

METEO-MARINE


De toutes ces cartes routières, d’état major, dont les valeurs des distances sont savamment calculées, aucune ne m'a laissé le moindre début d'une émotion, ni même la mémoire d'une impression. Des autoroutes numérotées aux chemins vicinaux qui s'effacent, maudits, dans les blés, chercher le chemin le plus court d'un point à un autre ne m'a jamais vraiment intéressé. Ces cartes mortes ne me font sourire encore que lorsque posées sur la chaleur du capot avant, un coup de vent les fait danser dans l'énervement de celui qui sait trop bien qu’il est perdu depuis longtemps. Les cartes figées ne m’intéressent plus. Il n’y a rien à en tirer; ni la température, ni le temps que j'y ferai : anticyclone, calme plat, ouragan, dépression de type A…Je sais, je dois remercier la météo marine de m’avoir avoué qu'elle est pour quelque chose dans ce moi que j’ai fait. De m'avouer qu'elle m'a toujours hypnotisé, depuis sa sirène sur un rocher, m'enivrant d’informations écopées sur l'écume des vagues par des escadrilles de poissons volants, d’hippocampes, de requins marteaux et de crustacés. Je sais très bien comment elle s'est jouée de moi ; charmé je le suis encore par ses formes poétiques dans lesquelles mon essentiel s’est laissé prendre au filet; Manche Est, Manche Ouest, Golfe de Gascogne, Baie de somme. Faraday, Shannon; Forties, Viking, Dogger, Fisher; le nom des vents, ceux des courants, rapides ou lents. Tous les mouvements de ses mouvements. Quand un peu plus loin, au large, la température plus élevée de la mer facilite l'écoulement du vent ; quand d’un cap à l’autre, les flux incessants parfois s’accélèrent aux yeux des passants. Et tes cambrures ondulés où l'on retrouve un vent plus régulier mais plus fort de 1 ou 2 degrés Beaufort. Et la brise de terre la nuit. Quand je t’écoute me parler comme ça, tu m'immortalises dans tes courants, me pulvérise et me noie un instant, dans tes rouleaux faits d'eau salée, d'étoiles de mer, de vestiges divers et variés extirpés aux bas fonds sablés.
Comment pourrais-je t’en vouloir ? Tu as ce don si unique de ne jamais te reproduire à l’identique.


[Intra-Muros] [14]

EXTRACTIONS-TRENTE-NEUF

Walter Tevis
Edition originale, The Steps of the Sun, 1982
Le soleil pas à pas - Présence du Futur, Editions Denoël, 1983


"Il est dans la galaxie des beautés que l’esprit humain ne peut qu’effleurer et frôler avant de devoir se retirer. Il est des couleurs et des courbes auxquelles ne sont pas préparés nos yeux et nos nerfs de descendants d’amibes des tièdes océans primitifs. J’avais dû détourner le regard."

READ DURING WEEK 25&26/06
Les autres extractions du livre, ici.

dimanche, juillet 16, 2006

FIN-DU-MONDE


Si vous vous promenez un jour dans les rues de Laon, vous accrocherez votre regard sur ce panneau qui somnole à l’ombre de la cathédrale, près de la petite place centrale : ‘Musée – Hospice – Clinique’ sont les trois mots qui, les uns sous les autres, se suivent, mais ne se ressemblent pas. Apparemment. Je vous dis ‘vous’, mais je te dirais ‘tu’ dorénavant. Suis donc le chemin, et perds le en chemin, tu verras, on y arrive facilement.
L’entrée de l’hospice est gratuite, et tu ne trouveras aucun guide pour te commenter les tableaux. Ni même de plaque, de titre, de date. Tout cela fait encore défaut. Toutes les statues en droit de s'y retrouver abritées sont bien là, elles aussi. Diriges-toi alors vers la plus silencieuse de toutes les pièces silencieuses, et en poussant légèrement la porte de celle dont transpire l’impatience laissée par les derniers membres de la famille de vider les lieux, et d’en vider la pièce de tous ses meubles horribles et vieux, tu verras dans la pénombre balbutiante d’un store malmené par un léger vent d’ouest, une petite vieille accrochée au mur. Tu lui donneras, disons, quatre cent ans. La sonate d’automne qui s’échappe de ses lèvres figées n’est ni facile à entendre, ni facile à écouter. Seule la concentration dans ce camp te permettra, avec tes bonnes intentions, immobiles, d’identifier plus qu’un bruit lancinant que tu prenais pour le passage éternel et répétitif d’un diamant sur un même microsillon rayé. Dans la moiteur de l’été, quand la dernière infirmière est partie, et que l’endroit semble laissé à l’abandon, entre les gémissements des portes et de ceux où celles qui les poussent, tu transcriras, comme moi, ceci :
« Avant la fin du monde, je voudrais me lever frais, dispo, léger, juste une fois, juste un matin, ce matin là de fin du monde. Avant la fin du monde, je voudrais déguster dans l’air frais, dispo, léger, quelques croissants, beurrés et de mûres mures confiturés, puis m'enivrer éperdument de melons juteux et craquelés, comme un iguane immonde. Avant la fin du monde, je voudrais goûter l’éternel de la perfection risiblement assouvie, arrêter de faire de moi des confettis, et pouvoir t’écrire des poèmes dépassant ceux de Jules Supervielle, pas beaucoup, ni trois, ni deux, juste un, mon premier dernier poème d’une matinée de fin du monde. Avant la fin du monde, je voudrais te prendre la main, errer dans la lavande, pouvoir me dire que j’y suis parvenu enfin, prendre le pouls au bout de tes doigts, si fins, du monde. Avant la fin du monde, je voudrais juste savoir si celle-ci se produira en plein jour ou de nuit, parce que je veux être réveillé et sûrement pas couché au lit, si c’est une nuit de fin du monde. Avant la fin du monde, je veux nous entendre nous dire -je t'aime-, et que ces mots s’incrustent à la fin de la bobine, celle du film du monde. Avant la fin du monde, je veux pouvoir me rappeler toutes ces treizièmes heures, toutes celles que nous avons passées ensemble en ce bas monde. Avant la fin du monde, je veux m’être brûlé les rétines dans tes yeux, et t’avouer ridicule que c’est peut-être aujourd’hui, la fin du monde. Avant la fin du monde, je veux apprendre par cœur toutes ces lettres que tu as oublié de m’écrire, toutes ces lettres que tu as oublié m’avoir écrites, pour les réciter sans fin, à tout le monde. Avant la fin du monde, je veux que tu sois mienne, et la mienne, ma fin du monde. »
Tu te réveilleras à l’aube, et la petite vieille se sera endormie, la tête penchée sur un côté, celui que tu voudras. Posé sur la couverture qui lui recouvre les jambes, son amant. Photo écornée et jaunie.


[Intra-Muros] [13]

jeudi, juillet 13, 2006

DISTRIBUTEURS


Je me souviens de mes souvenirs, et eux aussi se souviennent bien de moi ; ils m’attendent à l’affût dans les recoins de ma mémoire, jaillissent sur mon chemin quand l’inconscient fait la boussole dans mes pensées. Je suis heureux de les rencontrer, ils me procurent apaisement et m’aident à relativiser ma présence dans ce parc ce midi. Le souvenir d'un rêve ancien. Que je faisais. Il y a si longtemps. J'étais dans le petit jardin ombragé de ma grand-mère paternelle, accroupi dans l'allée maigrichonne, parmi les arbustes enlacés et les fleurs mal agencées, entre deux parties de dames avec mon grand-père. Les pieds métalliques dans la terre, un petit robot, pas plus grand qu'un vase, de couleur jaune-orangée, des reflets argentés; des yeux qui roulent. Je le sais là pour exaucer n'importe laquelle de mes idées. Sans qu'il n'ait besoin de me parler. Nos rôles sont bien distribués. Au réveil, une intense sensation de bonheur. Mon premier robot distributeur.
Errer dans les rues, se rendre à un distributeur automatique, et de là chercher des yeux le prochain. Après l'avoir fait d'un extrême à l'autre, j'aurai probablement pu traverser Tokyo à pied d'une extrémité à l'autre, peu importe la direction ou le point de départ que l’on choisira de façon arbitraire: un parcours fléché, solitaire, nul besoin de faire composter son billet, ni même de consommer, au choix, celui du hasard -même si vous conviendrez qu'il est quelque peu arrangé par les petites camionnettes qui viennent remplir les machines le matin: des boissons chaudes, des boissons froides, des revues pornographiques, des sandwichs, des piles, des CD… et tant d'autres babioles futiles que j'ai oubliées. Des cigarettes. Il y a peut-être plus de distributeurs que de voitures en surface à Tokyo. Elles sont appelées 'Machine Automatique de Vente'. J'appelle ça avoir le sens du concret: la machine est là pour vendre, et non pas pour distribuer. C'est peut-être cette brèche dans la manière de définir clairement les choses qui fait que les nôtres sont toutes saccagées.
J'ai posté ce matin à L'INRI divers plans et brevets de machines symptomatiques, attributeurs traumatiques, et j'attends maintenant, au vent calme de l'ennui qui souffle sur la terrasse, que la police vienne me chercher. Pour quelque asile faiseur de bien, pour Sainte-Hélène, exil lointain. Nul ne me laissera installer dans les rues mes grandes armoires métalliques qui vous propose de somptueuses galaxies pour vous y évader, moyennant le prix du danger, des embarcadères que l'on fait pousser la nuit avec de l'eau oxygénée, qui vous emmène où vous voulez, ou vous y ramène si vous le voulez; des réverbères; pour vous y retrouver. Qui vous propose de vous regarder dans la glace sans y voir toujours cet étranger, qui vous propose de changer d'espèces, si vous vous laissez d'abord vacciner. Contre la rage que vous portez.
Je garde quand même un petit espoir, pour la machine qui saura vous changer les idées. C'est peut-être la seule qui pourrait me sauver.
En attendant, les plans du petit robot, je me les garde. Pas vous ?


[Intra-Muros] [12]

EXTRACTIONS-TRENTE-HUIT

Kurt Vonnegut Jr
Edition originale, Cat’s Cradle, 1963
Le berceau du chat - Editions du Seuil, 1972

Et je me rappelai le Quatorzième Livre de Bokonon, que j’avais lu intégralement la veille. Le Quatorzième Livre est intitulé « Existe-t-il, pour un Homme Réfléchi, une Seule Raison d’Espérer en l’Humanité sur Terre, Compte Tenu de l’Expérience du Dernier Million d’Années ? »
Le Quatorzième Livre n’est pas long à lire. Il consiste en un seul mot : « Non. »



READ DURING WEEK 24/06
Les autres extractions du livre, ici.

mercredi, juillet 12, 2006

PEAU-AIME-(21)

J’ai presque envie, souriant, de m’ouvrir les veines.
Evacuer tous ces sentiments qui s’y baignent,
comme on prive la marre suppliante et verdâtre
de ses millions de litres d’eau pâle et saumâtre.

J’ai presque envie d’un bandeau serré sur mes yeux,
pour que cesse enfin l’hémorragie des larmes,
et comme on conduit un soldat las sans arme,
au pilori, quelques coups de fusil, adieu.

J’ai presque envie de brûler ma peau au soleil,
que la sueur me vide de tous ces vains efforts,
ceux du taureau qui, dans l’arène, s’émerveille
de tous ces gens venus assister à sa mort.

Ou alors.
Ou alors faire l’amour avec Toi.
Pour la première fois.


[Mécanique des fluides] [ Voiker]

PEAU-AIME-(20)

Prends un peu de mon temps,
comme s'il t'appartenait,
et fais moi rire avec.

Prends un peu de ton temps,
pour te payer ma tête,
et rends moi ivre avec.

Dans mes yeux en nage,
plus rien de si important.
Et surtout pas ce petit rien du tout de temps
qu'on ronge jusqu'à la fin pour se faire les dents.

[Ethymose] [Voiker]

lundi, juillet 10, 2006

FALAISE-EN-BOIS


Il est des falaises qui peuvent vous laisser sans voie. Comme celles de Latrabjarg, de Moher ou d'Etretat. Ou celles de Kahiwa qui surplombent la mer du haut de leur six cent mètres sur l'île de Molokai. Les pieds qui hésitent, encore quelques mètres, les yeux qui respirent face à l'horizon, et qui halètent quand le regard se baisse vers les bas fonds de ces escarpements rocheux créés par l'érosion.
Et puis il y a cette falaise qui me laisse ouvrir des voies dans l'immatériel, dans l'harmonie intime et ultime du début des bouts de mes doigts. Une falaise en bois. Devant elle aussi, mes pieds hésitent, devant elle aussi mes yeux s'affaissent, sous les effets enivrants de ma propre érosion. Je tends mes mains vers elle, m'asseyant sur un petit océan de velours bleu, et caresse ses échancrures, mes phalanges sur la douceur de ses nervures, frôlant l'indolente immobilité qui précède l'instant sublime où elle rompra le silence et saura exprimer mes propres césures, voiles de bateau comme des dièses ou des bémols à la clef, mes moments d'absence, ceux où en fait j'apparais, mes jouissances, comme des bulles de savon dans un air raréfié. Mes tremblements, d'éther, mes dérisions, sincères, mes atermoiements et mes songes et mes relents et tous mes moments solitaires et. Coda. L'écho qui bientôt montera de la falaise est cette vague qui s'amuse de me noyer invariablement, et bientôt insouciant je me laisse emporter, transporter, déporter par ses portées dissolvantes, ses espaces réparateurs, son rythme plus ou moins inquisiteur, ses nuances plus ou moins dénudées, jusqu'aux portes des terres non-cimentées de l'improvisation, quand une note récurrente s'instille en moi pour me faire vibrer comme un diapason, et qu'en mes doigts surgit une autonomie qui leur est propre, et qui se met à dialoguer avec ce qui reste de plus profond dans ce qui git au plus profond de moi. Je les regarde, détaché, se détacher de moi. Sur la pointe des pieds.
Au piano, je me joue. Partition organique versatile non duplicable, même en y mettant de la bonne volonté.


[Intra-Muros] [11]

dimanche, juillet 09, 2006

PEAU-AIME-(19)

Des nuées de molécules d’air,
Habile mélange, oxygène invisible,
Avaient envoyé la nappe à terre.
Je la ramassais au vent imprévisible.
Cela prit beaucoup plus de temps qu’il n’en fallait.

C’est dans cette opulence que je veux t'emmener.
Peu importe où, pour te dire toute la vérité.
Juste toi, et moi, émois.
Dans l’air du temps en l’air.

[Bourrasque] [Voiker]

vendredi, juillet 07, 2006

SALUT-ROBOT


Je ne pensais pas le revoir de si tôt. Je partais du principe qu'on ne revoit jamais deux fois le même oiseau. Je garais ma voiture au troisième sous-sol ce matin, et j'avais encore les clefs dans la main quand le corbeau est venu se poser sur le rétroviseur côté conducteur de mes sept chevaux fiscaux. Il tourna la tête à gauche, à droite, à gauche, repositionna son poids, puis me regarda. Il y avait quelque chose d'apprêté dans son comportement. Ses… manières maniérées. C'est ici que je me suis fait désarçonner, quand il a ouvert son bec pour me dire de me méfier de tout anthropomorphisme. Non seulement il parlait, mais il galopait dans mes pensées, en selle pour quelque discussion souterraine et surréaliste de philosophie de parking. C'est alors qu'un ressort s'est cassé; pas en moi; au-dessus de sa tête. Une spirale métallique s'est échappée de son petit crâne, le faisant cligner des yeux de manière intensive pendant quelques secondes. C'était un robot, un objet conditionné par quelques algorithmes mathématiques, un volatile électromécanique, peut-être radiocommandé, téléguidé, à la solde de quelque despote de l'ex-union soviétique. Ou celle de ma femme. Qui sait.
J'eus beaucoup de mal à accepter ses explications, quand il fallut accepter l'idée que tous les oiseaux étaient robotisés. Preuve en est qu'ils rechargent leurs batteries en se posant sur les lignes électriques, et qu'ils prennent leurs consignes sur les lignes téléphoniques. Il resta muet sur les questions que je lui posais à propos de mon épouse. Comment est-il possible que personne n'ait découvert la supercherie ? Lui de m'expliquer que les chasseurs sont des androïdes -avec des fusils. Très bonne couverture. Je me disais aussi...
Et puis il a pris la main. Façon de parler. Il m'a demandé mon prénom, et je lui ai donné. 'Xavier'. Et c'est à ce moment là que le parking s'est écroulé; il m'a dit combien j'étais loin de me douter de tous les prénoms dont certains osaient m'affubler, et il m'en a énuméré toute une flopée. Commençant par Utilisateur, Consommateur, Usager, enchaînant par Contribuable, Passager, Salarié, dérivant sur Bloggeur, Pseudo, et même Membre Privilégié pour les clubs A, B et C. Il m'a fait comprendre que des tas de gens me connaissaient sous une autre identité. Et puis il s'est renfoncé le ressort d'un petit coup de tête sur la vitre, et il s'est envolé. Je suis resté, longtemps je crois, debout près de ma voiture, les mains dans les poches.
J'entends encore ses dernières paroles, leur écho: 'Salut, robot !'


[Intra-Muros] [10]

jeudi, juillet 06, 2006

BOULES-DE-CAILLOUX


La Société Civile Immobilière de mon frère se dénommait 'Silex'. Bertrand adorait les cailloux, et bien malin celui qui saura me dire un jour pourquoi. Quand il se promenait, il en ramassait certains, de-ci, de-là, et les fourraient dans ses poches. Il avait quarante et un ans, le visage un peu décollé, et je me disais alors qu'il cherchait un moyen efficace de garder les pieds sur Terre. S'il avait eu des poches sous les yeux, il les aurait remplies aussi. Et puis récemment j'ai compris. J'ai compris que pour lui, les cailloux c'était comme des boules de neige, des glaçons. Mon frère mettait des boules de neige de cailloux dans ses poches, parce que celles en flocons agglomérés fondaient trop rapidement, dans ses poches et sur les étagères où il les disposait une fois rentré. De cette théorie dont mon frère serait l'initiateur, j'en déduis par la force des choses, celle que l'on ne se risquera pas de remettre en cause, que: sans plan particulier, je m'attaquerai au mois d'août à la construction d'un igloo avec quelques pavés préalablement déchaussés de la voie publique; que les dentelles de Montmirail et toute autre particularité géographique assimilable sont des icebergs qui dérivent sur l'océan de la terre -et je n'ose imaginer vers quelles profondeurs plonge leur partie immergée. Que les racines des arbres sont des coraux auxquels se fixent allègrement vers et vermisseaux. Que ces paysannes qui descendent leur seau au fond des puits sont comme ces marins qui jettent l'ancre de leur bateau avant la nuit. Et Que les cimetières sont des ports. Des ports de détache.
Combien de gens sont partis en voyage, cloutés entre des planches comme dans des containers, après que des grues aux manches retroussées les déposent dans ces fosses de fortune qui ne s'ouvrent que très rarement, pendant les crachins, les orages, les averses. De larmes. Il n'y a jamais eu grand monde dans un cimetière; toutes les bières sont emportées depuis bien longtemps par les flux et reflux de la terre. Comme des barques, elles voguent sous nos pieds, parcourent le monde, dans le calme de notre douce ignorance. Un peu terre à terre, je me disais qu'en certains points du globe devaient sûrement se produire des embouteillages monstrueux. Mais s'eut été oublier un élément essentiel dans mes tergiversations: les taupes.
Ce sont elles qui règlent les problèmes de circulation.


[Intra-Muros] [9]

mercredi, juillet 05, 2006

ZEBRAS

Un jour de demi-finale de coupe du monde, tout reste possible; comme se prendre un PV pour des zébras que j'humilie tous les matins d'hier, d'aujourd'hui, et de demain. Le crime accompli, vaincu dans un bref duel -mais sans l'odeur de la poudre-, je fumais tranquillement une cigarette sur le bas-côté, assis en tailleur, pendant que le sergent chef indien matriculé 498532 rédigeait sa prose administrative dans le temps imparti de quatre minutes qu'il m'avait annoncé. Si j'avais eu avec moi mon appareil numérique, 'je nous aurais pris en photo tous les deux'. Je pense qu'il aurait apprécié ce pas vers l'immortalité que je voulais ainsi franchir avec lui; et puis on n'a pas toujours la chance de tomber sur moi. Les voitures défilaient.
La Joconde orange électrique qui illumine mon T-shirt dans le dos semblait découvrir les joies éphémères des happenings sur bande d'arrêt d'urgence. Elle souriait, comme à son habitude.


[Recadrage] [2]

mardi, juillet 04, 2006

VIDER-SON-SAC


C'est un modèle de poubelle qui ne laisse aucun doute sur la fonctionnalité de l'objet, rivé au trottoir dans la rue. Un collier métallique peint en vert, une robe en sac plastique transparent, pour "répondre aux critères de visibilité des déchets recherchés par les acteurs de la sûreté au niveau national." Une poubelle publique non-pudique, qui vous livre le contenu du désintérêt des passants. Pendant que les hélicoptères de l'héliport tournent au dessus de moi comme des moustiques, mon regard s'arrête sur un grand cahier rouge à spirales assez épais qui lutte dans une position verticale contre l'oubli, l'enfouissement, et les papiers graisseux d'une certaine forme d'expression culinaire de l'hégémonie américaine. Et de tracer alors les contours de cet enfant que je ne connais pas et qui, la fin de l'année scolaire aidant, a décidé de vider son sac. Il a choisi cette poubelle pour se débarrasser dans un espace de temps anodin, dans un endroit anodin, de ce cahier à qui il a fait partager pendant toute une année son cartable, sa table de classe, et toutes ses amitiés. Et puis, du jour au lendemain, plus rien. Le contenu d'un an d'efforts d'écritures, de lectures et de relectures, de polycopiés découpés, coloriés et plus ou moins bien collés. Le contenu d'un an d'efforts à savoir, dans le contenu d’un vidoir sur le trottoir.
Une femme à la peau chocolatée, trop bien portante, repère comme moi le désarroi et le cahier, d'une main l'extirpe et se met à le feuilleter. Elle reprend sa marche, tourne les pages; des collections de lignes à l'encre bleu, des collages. C'est cinquante mètres plus loin que se situe la prochaine poubelle. Je ferme les yeux. J'entends comme le bruit d’un cahier qu’on jette dans une poubelle publique.
Moi aussi j'ai vidé mon sac lors du dîner l'autre soir, à ma gamine, qui se complait volontairement dans les limites fixées par celles de ses propres livres et cahiers, ne faisant aucun effort pour remettre en cause ces vérités inscrites sur les polycopiés, ne voyant pas l'intérêt de s'intéresser à autre chose que l'espace défini et cloisonné pour les interrogations pré-programmées. J'avais la gorge qui se nouait, en lui racontant mon désarroi à moi quand le soir je regarde les étoiles sans pouvoir les nommer. En lui disant que l'on peut apprendre à l'infini, que l'intérêt est d'abord en soi et non pas patronné de manière aléatoire par les chaines de télé. Il y avait un oignon sur la table; je lui ai dit que des gens s'y intéressaient, qu'ils pourraient lui faire pendant une heure un exposé.
Sur sa bouche, un sourire. Dans ses yeux, des oignons. Les miens, et seulement ceux dont je devrais m'occuper.


[Intra-Muros] [8]

PEAU-AIME-(18)

Un doigt tendu vers les boutons dans l'ascenseur.
Quand une ampoule mal vissée tousse et vacille,
que les portes enferment mes yeux avec lenteur,
la cage étrangement silencieuse et docile.
Parce que je n'ai pas encore osé appuyer.

J'entraperçois un court instant tout l'avenir de l'humanité.

[Fraction de seconde] [Voiker]

lundi, juillet 03, 2006

MAJOR-TOM


J’aimerais tellement faire parfois ce rêve sublime dans l’instant, dans lequel je m’éloigne de la terre, engoncé dans une combinaison spatiale qui me maintient confortablement au chaud. Mon corps effectue des rotations lentes sur lui-même autour d’un axe imaginaire, et progresse à bonne allure, même si l’absence de points de repère ne permet pas de prendre réellement conscience de la vitesse. Je suis grisé par l’éloignement grandissant avec la terre, un peu comme si mon cœur était graduellement pressurisé et qu’il laissait surgir enfin les sentiments qui accompagnent la libération d’une émotion trop longtemps brimée. Le 3 juillet 2006 à dix heures et quarante minutes GMT, je laisse derrière moi la dernière édition des Echos, ouverte en page 15 et jamais décryptée, une boîte de Légo, sous cellophane et dont les piéces ne furent jamais assemblées, deux cartes postales du château de Chenonceau, jamais postées, un CD de tango, jamais dansé. Des opinions auxquelles je ne me suis jamais rangé, des amis disponibles que je n’ai jamais dérangés, et des affaires de cœur, jamais arrangées; quelques affaires disponibles, jamais dérangeantes, des amies de cœur, jamais arrangeantes, et des rangées d’affaires engrangées dans l’urgence, qui s’effacent avant même d’avoir eu à leur faire face. Et tous ces instants d’égarement, jamais retrouvés.
Il faudra bien qu’un jour je m’en arrange. Endimanché. Ou n’importe quel autre jour, à la rigueur. Celle qui me fait tant défaut.


[Intra-Muros] [7]