jeudi, mars 27, 2008

vendredi, mars 21, 2008

LISBOA

mercredi, mars 05, 2008

GRAVAMENTE



Je ne fus pas un touriste. N’en fus peut-être jamais un. En tout cas pas là-bas.

En descendant les pentes de l’Alfama, comme un coquillage qui roule au pied d’une mer en pente de toitures inégales, de couleurs de murs flétries, de trottoirs minimaux, puzzle de petits cubes de pierre couleur crème, de linge qui s’assèche aux fenêtres de vies anodines que je ne connais pas mais qui s’ouvrent sur moi comme si elles savaient que j’avais déjà vécu là-bas ; le cliquettement métallique de l’electrico qui s’amoncelle dans les virages, le bois de l’habillage intérieur de la carlingue, les fenêtres à rabat, la présente chaleur du soleil sur moi. Le vingt-six février de cette année. Lisboa.

Le lieu, et pas seulement cette chambre où nous dormions, ni cette terrasse où nous prenions notre café, ni cette oeuvre au mur à l'hôtel faites de cartes vieillies sur un grand panneau de bois et où nous trouvâmes nos villes natales, ni ce château qui veillait sur nous d’un coin de cil, ni les labyrinthes des ruelles qui nous ligotaient avec le fil dénudé d'un vieux yoyo, ni les quartiers, Chiado, Baixa, Alfama, Belem, s’effilochant sous nos pas qui les distendaient, ni le Tage qui les contenaient et les contiendra comme une ceinture trop bien ajustée sur une tenue débraillée.

Les gens, ces visages qui imposent là-bas leurs pensées à livre ouvert, et pas seulement cette serveuse aux traits de statue grecque qui vous traduira vos cartes en portugais au milieu de la nuit, ni ce chauffeur de taxi qui s’excusera vingt fois de ne pas s’être trompé de Docas, ni ce charmeur de guitare qui vous dira du regard savoir pourquoi vous êtes là et comprendra si bien que vous vouliez tant ce livre qu’il tient à la main mais qu’il n’a pas fini de lire, ni cet enfant, Tom je crois, qui court dans la crypte du Convento da Ordem do Carmo et me prend pour elle quand il s’adresse à moi, ni le visage de cette vieille femme accroché à une fenêtre ouverte à hauteur du mien et qui me jette ses rides comme pour me dire que le temps n’est rien, et qu’il passera, qu’il passe, et que cela ne fait rien. Cela me passera. Ni cette femme de ménage, forte corpulence et peau noire, vétue d’une tunique bleue sur un chemisier rouge, coiffée d'un fin bonnet blanc pour tenir ses cheveux, semblant sortie d’un film de Wim Wenders, qui balaye le sol du Brasileira, vous suggèrant dans l’au-delà de ses gestes toute l’immensité du quotidien ; ni cette femme qui porte à ses lèvres son fume-cigarette, qui regarde droit dans la lumière extérieure en buvant son café, qui se retournera en partant pour me sourire comme pour me dire ‘c’est bien ici, oui’. Ni les deux autres femmes qui lui succéderont à la même place pour accomplir ce même rituel.

Ni l’omniprésence en moi de Fernando Pessoa dans ce café, son café, le Brasileira, ni son omniprésence tout autour de moi.

Les couleurs, et le blanc de nos chemises, le blanc du lait dans ma coupe de champagne, le blanc de la colombe sur le toit au matin, le blanc de la rose unique dans son vase de métal sur le buffet du petit déjeuner.

Toi, qui cours sur les terrasses quand la ville s’extirpe maladroite de son sommeil, toi qui grimpe aux balcons des façades murées, toi qui danse dans les miradouros, toi qui jongle avec des oranges, toi qui serpente ton corps sur les mains courantes au milieu des ruelles en pente, toi qui sait encore l’importance de tous ces instants qui ne servent à rien.

J’ai mis le pied au centre du monde. J’ai encore du mal à assembler les mots exacts pour dire, avec calme, qu’il s’agissait du mien.