Je me tourne et me retourne dans le lit, ce nid carré que l’on dessinera sur mesure, à la démesure de nos rêves de vie éperdue, portée par mon souffle et inspirée de ton regard, sans commune mesure avec la petitesse et l’étroitesse blêmes et blafardes communément acceptées et qui s’écoule au long des jours de mascarade, où se noient névrosées des envies non-affranchies dont on feint d’ignorer la déception que l’on en retire à postériori, où chavirent désabusées des réflexions préméditées dont la dernière que l’on a croisée viendra nourrir le feu de la prochaine conversation, où s’éperonnent fiévreusement des pensées rétrécies par l’égo des autres et le renoncement à juger bon de leur faire entendre d’autres sons ; dans ce dédale où des automates absents, promenant leurs animaux et leurs véhicules domestiques, soignent leur esthétique, vagabondent sur la voie publique et dans nos ruelles intérieures, hagardes, emplies de sonorités étouffantes, d’images persistantes et d’opinions décharnées qui mènent, une peur inavouable au ventre, vers une fin cousue de fils blancs.
La chaleur de ton instinct s’est dissipée un peu, tu dors tranquillement, ta respiration rythme sournoisement le temps qui s’évapore et qui transporte bien loin avec lui toutes les contraintes d’aujourd’hui. Ce nid douillet, les oreillers moelleux et caressants, le duvet gorgé de plumes, et ton corps, beau. Je me lève, nu, et mes pieds s’enfoncent dans la glaise humide du champ de mes pensées. C’est une aurore lancinante, teintée de brume fantomatique qui tantôt survole, tantôt câline la terre, froide et austère, quelques bosquets se devinent lentement, sans pour autant laisser préjuger de la suite. J’imaginerais volontiers le bruit d’un ancien pistolet, l’odeur de la poudre, la chute étouffée d’un corps qui s’affaisse sur le sol mouillé. Il règne en moi l’angoisse dramatique qui prend l’observateur à la gorge quand un destin se scelle sous ses yeux.
S’alignant à perte de vue devant moi, les errances capricieuses de la brume les rendant semblables à des charbons brûlants dont la pluie exhalerait les derniers souffles, têtes de corbeaux surmontant des corps d’hommes, tout vêtu de noir et régulièrement espacés, l’Armée de la Nuit me fait face, immobile. A bien y regarder, certaines lignes sont édentées, des vêtements traînent sur le sol, des claquements d’ailes et des croassements crèvent le silence et la brume, comme les cris des nouveau-nés. Je ramasse une chemise, un pantalon, les enfile. J’en prends également un jeu pour toi. Je suis transi par le froid et brulé par l’envie de me mettre à courir, de faire souffrir mes muscles, dans la douleur et dans la sensation d’une joie que j’ai du mal à comprendre, une euphorie que mon enveloppe corporelle a bien du mal à contenir. Je me sens pousser des ailes. En quelque sorte. Nul doute que c’est effectivement ce qui est en train de se passer.
La brume dissipée,
le champ libre,
à la première éclaircie,
j’essayai de voler.
J’échouai.
[Intra-Muros] [30]