Libéré des horizontales, je me transporte de verticale en verticale, je vole de clocher en clocher, des églises où les prêtres n’officient plus qu’une fois par mois, des manoirs clandestins à eux-mêmes, aux bois qui les entourent, aux ronces naturelles et surnaturelles, clôtures et barbelés, qui les empêchent à jamais de revenir au village, pigeonniers abandonnés aux hiboux et aux rats, qui trônent hauts et massifs dans des cours de ferme aux rustines insultantes faites de tôles et de parpaings, où les vieux sont semble-t-il déjà morts plusieurs fois, dans l’indifférence des écrans, à coup sûr bientôt tous plats, cheminées d’usine où plus rien ne s’usine, où le métronome du délire humain s’est arrêté, rouillé, entre deux va-et-vient des godets qui s’inversaient puis déversaient un métal en fusion promis bientôt au laminage, comme tout le reste, comme tous ceux qui restent, tous ceux qui partirent et tous ceux qui partiront demain poursuivre ici ou ailleurs, dans la démesure, l’apprentissage plus très sorcier de l’irréalité sociale.
Je n’ai rien contre les métronomes, bien au contraire ; ils évitent que la musique ne s’emballe, ou que celle-ci ne s’embourbe ; ils permettent surtout que l’œuvre, d’une vie, puisse vibrer d’une même homogénéité, quel que soit l’artiste qui l’exécute, à l’oreille qui l’écoute, assidue ou distraite. En vérité, même sur un tempo « inadapté », on peut, sincère, apprécier la virtuosité de l’interprète ; changer d’adjectif, s’ouvrir et préférer « inattendu ».
C’était avant la suppression des métronomes et la libéralisation du marché des partitions, la généralisation des blanches -qui nécessitent moins d’encre que les noires à l’impression-, la suppression des portées, réduites à une seule ligne, la disparition des armures, trop lourdes à porter, la standardisation des clés, une seule suffisait, puis plus aucune puisque tout le monde savait de laquelle on parlait.
C’était avant que tout ne commence à sonner faux ; c’était malheureusement après que les gens ne puissent plus se rendre compte à quel point ils étaient devenus sourds.
Sourds à lier.