vendredi, mars 09, 2007

BRITISH-MUSEUM


L’image passe, comme un bus à deux étages, devant mes yeux, mais –elle- je la retiens, je la recentre en moi, l’empêchant de se fondre dans le flou du présent perdu. Depuis le trottoir, sur Great Russell Street, j’affirme avoir vu, sur la chaussée, une pirogue avec à son bord des loups. Deux, trois, peut-être beaucoup plus, et je vous laisse me les compter. Leur poil était rasé très court, à la manière des lévriers afghans, et leurs gueules ouvertes baillaient en silence. L’écoulement de la rivière remplaçait celui des voitures. J’ai presque failli ne rien remarquer ; et me voilà désormais à pouvoir affirmer avec assurance les avoir bel et bien aperçus. N’y voyez là ni vantardise, ni solitude désabusée ; cette vision m’appartient ; peut-être la peindrai-je un jour.

A dire vrai, j’ai moins d’assurance à vous certifier l’exactitude du nom de la rue ; il en va de même pour l’instant précis auquel cela m’est réellement arrivé. Quant à me rappeler si cette vision m’a traversé l’esprit avant d’entrer au British Museum, ou après… J’ignore également si ce détail a son importance. Je vous laisse me manipuler et tisser les liens que vous voudrez.

Et puis tout cela n’a aucune importance ; je laisse infuser mes chaussures sur les rives du trottoir, pendant que les loups rient en silence ; ils se moquent bien de considérer comme moi que les musées ne se lassent, imbus d’eux-mêmes, de laisser admirer le contenu de leurs entrailles, même aux yeux mêmes de ceux qu’ils dépouillèrent un jour au son du canon, rassemblant impunément les butins et vestiges des vols, saccages et pillages des escrocs militaires d’antan ou financiers d’aujourd’hui. Egypte, Grèce antique, Italie romaine, Inde, Cambodge, Vietnam, Thaïlande, Afrique, Amériques. Vos propres entrailles, votre propre mémoire.

Je vais faire pareil ce soir, fracasser les portes de mes voisins de palier, me servir au hasard de mes étonnements, et puis j’ouvrirai une galerie dans la vieille ville pour y présenter les pièces les plus parlantes de mon expédition nocturne ; des gens du monde entier viendront admirer les traces de ces gens, je disposerai une urne pour les dons, car il faut que je m’équipe d’un nouveau pied de biche ; j’aurai également enrôlé de force la petite du 513 pour faire le ménage dans la galerie. De nuit, bien évidemment, avec des chaînes au pied.

Assis sur un banc de Hyde Parc, un vieil homme s’appuie des deux mains sur sa canne, centrée entre ses jambes serrées. Je ne me souviendrai jamais que de son profil, en contre-jour, et du code barre usé, resté collé sur le manche de la canne depuis toujours. Mon British Museum à moi.


[Intra-Muros] [36]

3 commentaires:

Anonyme a dit…

salut voiker, contente de te retrouver ici, et là, à visiter ton british museum , ce texte donne une impression d'être très proche de toi.
@+

Anonyme a dit…

l'écriture bouge, voiker, zone de flou avant mutation, a priori;
en attente du suivant.

D'Arcy a dit…

IF6> On l'est, je pense.

GMC> Content de te savoir tjs dans les parages. Oeil de lynx, à ce que je vois...