jeudi, décembre 21, 2006

NY-2007


Ma carte de voeux s'est enfin fait livrée.
Envoyez-moi vos nom et adresse,
et ce sera un plaisir pour moi.

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Voiker

lundi, décembre 18, 2006

MEDITATION


Si l’endroit vous importe autant que cela, alors je ne vous cacherai pas plus longtemps que l’inaction se situe dans le nord de la Thaïlande, à l’ouest de Chiang Mai. Des collines, un temple, quelques bonzes ; des novices, une grotte, quelques chevaux. Tout ici est réfléchi, depuis la manière dont la plus petite toile d’araignée fut tissée, jusqu’à la posture d’allégeance au vent des feuilles dans les arbres ; depuis l’angle respectueux avec lequel les flaques d’eau réverbèrent les rayons du soleil et où semblent se prolonger, en profondeur, les songes et les pensées d’une nature luxuriante au pied de laquelle elles se prosternent.

Si l’époque vous importe autant que cela, je vous dirai qu’elle se situe dans le présent, à leur époque, car même si celle-ci coïncide avec la notre, il y a fort à parier qu’ils ne sauraient s’intéresser à ce qui semble vous importer autant ; et l’eussent-ils néanmoins fait, dans un élan d’allégeance rappelant pour eux seuls la posture des feuilles dans les arbres, c’est probablement imperturbables devant nos vêtements impossibles et nos pensées ancestrales qu’ils nous renverraient souriant notre image, comme ces flaques qui réverbèrent les rayons du soleil dans les yeux.

Si le moment opportun vous importe quelque peu, je vous conseillerai sans hésiter de vous y rendre la nuit, et de vous asseoir là où vous vous sentirez le mieux ; les bonzes auront les yeux ouverts vers les étoiles, tentant de les y imprimer pour les y faire briller encore dans la lumière du jour qui vient ; les araignées tisseront leur toile, patientes d’y piéger une étoile filante avant la première heure du matin ; les flaques, elles, guideront la dérive des étoiles jusqu’au lendemain, attendant peut-être qu’avec la pluie l’une d’elle s’y projette et s’y noie.

Dans le silence des collines, certains animaux, que d’autres s’imaginent éteints depuis plusieurs siècles ou aveugles de naissance, savent encore comment faire pour observer, de derrière une toile d’araignée, le reflet des yeux d’un bonze dans une flaque de pleine nuit.

Si quelque chose vous importe encore, c’est peut-être que je vous donne les coordonnées polaires du lieu ; peut-être aurais-je du commencer par ça. Vous serez surpris, et n’en reviendrez peut-être pas. C’est mon cas, parfois, quand je me rends compte que je ne sais même plus d’où je vous écris. Comme quoi.




[Intra-Muros] [32]

EXTRACTIONS-QUARANTE-SIX

----- Arto Paasilinna / Le fils du dieu de l'Orage
----- Editions Denoël, 1993 /\ Ukkosenjumalan Poika, 1984

"Rutja écouta bouche bée les discours du psychiatre. On aurait dit que le Dr Osmola trouvait le fils du dieu de l’Orage dérangé. C’était blessant, mais on pouvait comprendre cette attitude si l’on pensait à ce que l’homme avait subi. Travailler pendant des années au milieu d’aliénés laisse des traces dans n’importe quel esprit."

READ DURING WEEK 39&40/06
Les autres extractions du livre, ici.

lundi, décembre 11, 2006

ROUGE-FLAMENCO


D’objets, tant d’objets, qui sécrètent tant de romans silencieux et impubliables, qui emprisonnent tant de passés affectueux ou désaffectés, s’enrichissent de tant d’émotions intimes et sacrées qui tentent parfois de fuguer, incontrôlées, entre le mutisme des yeux et le tremblement des mains de celles et ceux qui les ont chéris, transmis, de mains en mains.

Je n’ai jamais vu le vase rouge dont tu me parlais ce matin, et pourtant, lui, me parle. Le vibrato dans ta voix, expression d’une détresse et d’un abandon infini que tu ressens mais n’oses avouer en m’en parlant. Je ne sais de quel rouge tu me parles, mais je le devine profond de la chaleur et de l’éclat qu’il a sûrement enfouis nostalgiquement au fond de lui quand tu l’as ramené d’Espagne ; un rouge ‘flamenco’, une couleur intense et passionnée, sombre et rayonnante à la fois, ultime. Un vase qui saurait se souvenir des doigts de l’artiste qui le créa, des longues heures qu’ils passèrent à caresser ses rondeurs en faisant varier leur pression, attendant l’instant sublime et éphémère qui marie le plaisir visuel de la forme qui émerge, avec la sensation de cette femme, connue de l’artiste seul, et dont ce dernier trouve subitement et d’instinct l’écho dans ses mains.

Dans une petite rue habillée de tourniquets de cartes postales, de petites filles la glace à la main, de volets à demi-clos s’endormant sur le bâillement des portes, raisonnante du bruit des sandales qui tentent de tirer de son sommeil un nuage imperceptible égaré dans le ciel du bleu, j’imagine le vase sur l’étagère d’un petit magasin, qui s’alourdit un peu plus chaque jour du regard de ceux qui le découvrent, le désirent, le placent et le déplacent, le prennent quelques instants et l’exilent un peu chez eux dans l’anonymat de leur imagination. Ton sourire en le voyant, sa peau, tes doigts, l’envie puis l’adoption.

Cela fait six ou huit saisons que le vase est revenu d’Espagne dans tes bagages. Tu déposes depuis sur lui tes yeux et tes empreintes, il est le témoin involontaire et discret de tes jours. Ton confident peut-être, un ami neutre qui te rappelle, sans se faire ni précieux ni solennel, certains jours heureux. Peut-être te connait-il mieux que moi. Mieux que n’importe qui, peut-être. Mieux que celui avec qui tu l’avais déniché, et qui ne souhaite pas non plus s’en séparer, maintenant que tu pars ; qui ne veut pas se rendre compte combien, par sa présence, ce vase sera un fardeau.

Car ce vase ne voyagera plus jamais, tant la lourdeur que lui seul peut lire sur ton cœur ces jours derniers l’empêchera désormais de danser.




[Intra-Muros] [31]

mardi, décembre 05, 2006

L'ARMEE-DE-LA-NUIT

Je me tourne et me retourne dans le lit, ce nid carré que l’on dessinera sur mesure, à la démesure de nos rêves de vie éperdue, portée par mon souffle et inspirée de ton regard, sans commune mesure avec la petitesse et l’étroitesse blêmes et blafardes communément acceptées et qui s’écoule au long des jours de mascarade, où se noient névrosées des envies non-affranchies dont on feint d’ignorer la déception que l’on en retire à postériori, où chavirent désabusées des réflexions préméditées dont la dernière que l’on a croisée viendra nourrir le feu de la prochaine conversation, où s’éperonnent fiévreusement des pensées rétrécies par l’égo des autres et le renoncement à juger bon de leur faire entendre d’autres sons ; dans ce dédale où des automates absents, promenant leurs animaux et leurs véhicules domestiques, soignent leur esthétique, vagabondent sur la voie publique et dans nos ruelles intérieures, hagardes, emplies de sonorités étouffantes, d’images persistantes et d’opinions décharnées qui mènent, une peur inavouable au ventre, vers une fin cousue de fils blancs.

La chaleur de ton instinct s’est dissipée un peu, tu dors tranquillement, ta respiration rythme sournoisement le temps qui s’évapore et qui transporte bien loin avec lui toutes les contraintes d’aujourd’hui. Ce nid douillet, les oreillers moelleux et caressants, le duvet gorgé de plumes, et ton corps, beau. Je me lève, nu, et mes pieds s’enfoncent dans la glaise humide du champ de mes pensées. C’est une aurore lancinante, teintée de brume fantomatique qui tantôt survole, tantôt câline la terre, froide et austère, quelques bosquets se devinent lentement, sans pour autant laisser préjuger de la suite. J’imaginerais volontiers le bruit d’un ancien pistolet, l’odeur de la poudre, la chute étouffée d’un corps qui s’affaisse sur le sol mouillé. Il règne en moi l’angoisse dramatique qui prend l’observateur à la gorge quand un destin se scelle sous ses yeux.

S’alignant à perte de vue devant moi, les errances capricieuses de la brume les rendant semblables à des charbons brûlants dont la pluie exhalerait les derniers souffles, têtes de corbeaux surmontant des corps d’hommes, tout vêtu de noir et régulièrement espacés, l’Armée de la Nuit me fait face, immobile. A bien y regarder, certaines lignes sont édentées, des vêtements traînent sur le sol, des claquements d’ailes et des croassements crèvent le silence et la brume, comme les cris des nouveau-nés. Je ramasse une chemise, un pantalon, les enfile. J’en prends également un jeu pour toi. Je suis transi par le froid et brulé par l’envie de me mettre à courir, de faire souffrir mes muscles, dans la douleur et dans la sensation d’une joie que j’ai du mal à comprendre, une euphorie que mon enveloppe corporelle a bien du mal à contenir. Je me sens pousser des ailes. En quelque sorte. Nul doute que c’est effectivement ce qui est en train de se passer.

La brume dissipée,
le champ libre,
à la première éclaircie,
j’essayai de voler.
J’échouai.


[Intra-Muros] [30]

lundi, décembre 04, 2006

EXTRACTIONS-QUARANTE-CINQ

Sylvie Germain

Le livres des nuits - Editions Gallimard, 1985


"D’épouse en épouse il gardait le silence et chacune de ses unions s’établissait dans le partage de ce silence. Sang-Bleu, plus encore que les deux autres, ne questionnait jamais elle-même et parlait moins encore de soi. Elle semblait avoir été taillée corps et âme dans le silence, jusqu’à cette peau si lisse qui donnait au moindre de ses gestes l’allure ondoyante d’un poisson filant au fond de l’eau. Et c’était cette part de silence qu’il avait le plus aimée en chacune de ses épouses."

READ DURING WEEK 46/06
Les autres extractions du livre, ici.