jeudi, avril 26, 2007

EPAISSEUR


Arc-en-ciel envoûtant dont l’opacité fragile adoucit les couleurs et en fragilise la présence, posé sans effort apparent entre un bosquet échoué, au teint sombre, et la limite convergente de l’horizon, comme l’élément perdu de la voûte d’une gigantesque église romane, et à la réflexion les formes mystiques de ces symboles spirituels érodées par le temps et la science en tirèrent peut-être leur inspiration originelle ; qui se révèle éphémère et inatteignable, proche par la facilité avec laquelle on peut le pointer de l’index, mais loin d’avoir encore jamais été touché par n’importe quel autre doigt, arceau sans épaisseur, en équilibre immobile sur sa tranche, un ruban courbe et coloré, comme un tatouage sur la peau du ciel; comme l’une des portes d’un jeu de croquet, attendant que la lune ne tente de le franchir, tête roulante, tête baissée ; comme un marque-page abandonné au beau milieu d’un pré.

Ici, plus rien pour vous n’aurait d’épaisseur ; pourtant dans le pays des airs, dans ce désert de dunes de courants d’air, où seules parfois quelques feuilles perdues, la fumée des usines et certains de mes congénères révèlent par leur trajectoire toute la richesse invisible de cette mer aux vagues oxygénées, son caractère accidenté et fortuit, ses pentes inopinées, ses collines impromptues, ses dénivelés inattendus qui se chevauchent et s’entrecroisent, au grès desquels dérivent, consistants, fantomatiques et déformés, sereins quant à leur destinée aux visages multiples, les balcons du ciel.

Les ailes déployées, je découvre dans les couches aériennes azurées cette épaisseur que je m’étais tant cachée, que tant ont besoin d'ignorer, qui s’entrebâillait quelquefois dans le silence des non-dits, quand à la marge de cette vie signalisée, je sentais poindre dans certains regards, dans certaines positions incertaines des doigts, le reflet chaotique d’une vérité.

C’était à l’époque où les secondes urgentes de marbre laissaient l’intuition suggérer en moi les prémices balbutiés d’une explication quant à l’existence des poissons volants.

Bien, bien au-delà du simple plaisir de voler.





[Intra-Muros] [41]

jeudi, avril 19, 2007

LE-TEMPS-DE...


... s'acclimater, dans le jardin du même nom.


[Recadrage] [9]

mercredi, avril 18, 2007

EXTRACTIONS-CINQUANTE-CINQ

----- Kurt Vonnegut / Les sirènes de Titan
----- Denoël, Présence du Futur, 1962 /\ "The sirens of Titan", 1959

« Une année de Tralfamadore, d’après ses calculs, correspondait à 36 162 fois la durée d’une année terrestre. La cérémonie à laquelle il avait participé avait donc été donnée en l’honneur d’un gouvernement vieux de 361 620 000 années terrestres. Salo décrit cette forme durable de gouvernement comme étant de l’anarchie hypnotique, mais il a refusé à expliquer son fonctionnement. »

READ DURING WEEK 11&12/07
Les autres extractions du livre, ici.

vendredi, avril 06, 2007

CORVUS


And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon's that is dreaming,
And the lamplight o'er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted - nevermore!

Edgar Alan Poe




Je lui tiens la fenêtre ouverte, le regard perdu dans les motifs éteints du rideau défraîchi, soucieux de bien faire, apeuré de faillir ; et si cette scène est unique, elle porte en elle l’incroyable parfum de l’habitude, tel qu’on l’eut retrouvé, à la fin du jour, sur le perron d’un hôtel particulier, dans la posture du cocher ouvrant la porte de la calèche, dans son mutisme circonstancier qui scelle au fil des années l’ordre immuable de la déférence et du respect.

Les ailes déployées, selon une trajectoire dont la discrète maîtrise et l’agile précision viennent caresser les âmes sommeillantes des meubles de la pièce comme pour les anoblir, l’oiseau noir-bleuté se pose alors sur la longue table de la salle à manger, avec la tendresse et la précaution innocentes d’un premier baiser. Soudain promus voyageurs des temps, la pièce et ses occupants les plus anciens, de fer, d’ivoire, de bois ou d’argent, laissent rajeunir leur éclat, faisant ravaler aux acquisitions récentes l’arrogance condamnable de leurs formes industrielles et de leur jeunesse insipide. Gienah Corvi, Tso Hea, Algoral, Minkar, Avis Satyra, sur la table, roulant dans le silence, onze billes de nacre prennent position pour dévoiler, étoiles célestes, la constellation du Corbeau.

Son imposante stature surplombe les étoiles, tel un Dieu bienveillant veillant son univers, en surveillant le destin, anonyme et austère ; son plumage brillant laisse scintiller quelques plumes irisées d’un ton bleu-violet suggérant les couleurs que cachent parfois certaines bouteilles oubliées dans le fond des caves. De longues plumes ébouriffées cerclent sa gorge, formant un arrondi sous son bec long et robuste; ses yeux sombres, presque noirs…

Ses yeux sombres, presque noirs, m’invitèrent au départ, sous le couvert d’une confiance que sciemment je lui accordai tant son regard, profond, ne pouvait qu’inciter un homme à l’allégeance et au don de soi. C’est par la fenêtre qu’ensemble nous sortîmes ; je calquai le rythme de mon premier vol sur ses propres battements d’ailes. Je volais, plongé dans la nuit noire, comme une goutte de sang noyée dans un encrier.






[Intra-Muros] [40]

mercredi, avril 04, 2007

EXTRACTIONS-CINQUANTE-QUATRE

----- J.G. Ballard / Sécheresse
----- Editions Casterman, 1975 /\ "The Drought", 1965

« Ramson regarda l’avenue déserte. La plupart des maisons étaient vides, leurs fenêtres protégées par des planches et clouées, les piscines vidées de leur ultime réserve d’eau. Des files de voitures abandonnées étaient garées sous les platanes qui dépérissaient, et la route était jonchée de boîtes de conserves et de cartons que l’on avait laissés sur place. La poussière brillante comme du silex s’amoncelait contre les clôtures. Des feux de détritus se consumaient sans surveillance sur les pelouses grillées, leur fumée flottant mollement au-dessus des maisons. »

READ DURING WEEK 09&10/07
Les autres extractions du livre, ici.