mardi, juillet 25, 2006

DE-GARES-ET-D'ENCENS


Ce qu’il me manque encore parfois aujourd’hui, -puisque l’on finit toujours par ne jamais s’habituer à son absence, à l’absence- c’est l’odeur et les formes, brumeuses et incertaines, de l’encens qui se dégageait de sous le corps monstrueux et puissant des locomotives quand elles envahissaient ou quittaient les gares. Cet encens servait, j’en suis sûr, à abriter certains regards, à en faire naître d’autres, plus fins, des regards pour avouer les émotions du départ, des regards hagards, hachurés de contradictions, de non-dits, de déceptions, début ou fin d’une histoire, l’un s’en va, l’autre s’égare, s’efface lentement, s’enfonce en lui-même. Sur le quai de la gare. Parfois jusque sous la gare.
Je crois en l’existence d’une confrérie secrète qui comprend le cœur de certains irréductibles ; qui s’affaire à faire en sorte que la non ponctualité des trains remplisse ce rôle longtemps tenu par l’encens qui s’échappait des trains, laissant dans les secondes incandescentes, disponibles et incertaines de l’imprécision du temps, la possibilité de se dire encore des choses, ou de s’imaginer se les dire déjà ; des fenêtres intemporelles ouvertes pendant quelques instants encore, qui précédent l’avalanche incontournable des séparations irrémédiables, irrévocables, irréparables ; des retrouvailles irrésistibles, irréversibles, irréelles, et les plus belles, les rencontres irrationnelles. Emergence, dans l’immédiateté, d’un nouveau monde, qui disparaît presque aussitôt dans l’urgence imposée de s’en tenir aux cadences programmées des voies ferrées.
Razant les bordures, certains emmènent en voyage leurs maux, qu’ils trainent en eux, éreintés. Certains se transforment lentement en fardeau au fur et à mesure de leur progression sur le quai. D’autres partent sans raison, s’imaginent partir pour une bonne raison ; arriveront avec une autre. Plus belle. En trouveront d’autres au cours des conversations…D’autres encore reviendront, en silence ; à tord ou à raison. D’autres ne reviennent jamais. Il n’y a pas que les trains qui déraillent. Il y a les gens aussi.
Je suis assis, dans un train immobile ; un wagon désaffecté qui m’emmène vers la permanence du nouveau monde ; toutes ses fenêtres sont brisées. Air frais.



[Intra-Muros] [17]

18 commentaires:

gmc a dit…

une gare qui ressemble à certaine station de métro...

Anonyme a dit…

Metro Bonne Nouvelle ?...

gmc a dit…

les moyens de "transport" changent (cf "je l'ai composé en dormant...sur mon cheval"), pas les écuries (ni les étables, ni les gares)

D'Arcy a dit…

Métro Chateau d'Eau... (?)

D'Arcy a dit…

GMC> fine remarque...

Anonyme a dit…

Ni les garages de matériel de guerre désaffecté...

D'Arcy a dit…

GMC> ou alors la station de métro que tu avais évoqué dans ton chez toi, et où j'avais entrevu un instant Bilal...

Anonyme a dit…

la non ponctualité des trains est finalement une aubaine pour vivre l'instant- présence ,coincé entre l'immediat et l'urgence , j'aime bien quand tu assimiles les vapeurs d'encens à cet espace /temps qui est laissé aux voyageurs , si peu de temps pour dire encore et vivre encore et embrasser encore, combien d'émotions dans cet intermède au sein de l'urgence?

Anonyme a dit…

en fait ce n'etait pas une ? mais un point de !. @+

D'Arcy a dit…

IF6> C'est exactement ça. Et d'ouvrir à la fin sur mon image dans un train immobile, là où les fenêtres intemporelles sont brisées, pour ne plus être esclave de l'urgence et que l'intermède évoqué soit éternel, définitif, noyé dans l'intégralité des émotions.

Anonyme a dit…

Vécues dans l'immédiat, toutes les rencontres restent éternelles, définitves et... noyées à jamais dans les parallèles qui se perdent à l'infini...
Comme dans le centre du temps où toutes les âmes se retrouvent, tangentes du firmament qui s'entrecroisent et s'en vont... La nuit, et puis le soleil... quelle étrange géométrie, que celle des lignes de vies...
Cherche pas Voiker, les vacances avancent, ça divague, des vagues, du vague...

D'Arcy a dit…

Delie> Si les âmes existent vraiment...
La géométrie des lignes de vie.... vous me rappeler un petit papier que j'avais fait sur le sujet, peut-être l'avez vous vu...

http://wiwilbaryu.blogspot.com/2006/06/geometrik.html

Anonyme a dit…

esclave de l'urgence, tout le pb serait-il là? ce texte me touche particulièrement parceque justement les vapeurs d'encens et la sérenité qui va avec ne cachent ici que la cadence programmée des départs et l'urgence attachée à ces moments.En fait il me semble que ton texte aborde la notion de seuil, de passage, notions qui m'interessent particulièrement et qui sont porteurs de douleur, car la vie y est en suspens, @++

D'Arcy a dit…

les moments aue l'on essaye de retenir, ou que l'on essaye d'accelerer, des espaces de temps tres court, on essaye de tricher, car oui il s'agit de seuil, et parfois les emotions ne peuvent suivre certaines decisions de les franchir...

Anonyme a dit…

Dans les gares le parfum de la panthère attend de nous que nous le libérions . Le vrai voyage ne change pas, il est toujours parrallèle .

D'Arcy a dit…

parrallèle au sol...

Anonyme a dit…

Le sol mème, rythmiquement déserté suivant des parrallèles fictives, virtuelles et impeccables

D'Arcy a dit…

Des parallèles fictives, virtuelles, tellement nombreuses et déplaçables, mais toujours parallèles, et toujours perpendiculaire au regard que l'on porte sur le présent, perpendiculaire à la position de mon corps quand je vis. Et tellement impeccables, impeccables des désirs que l'on peut leur porter. De devenir alors soit même parallèle, dans les singeries des rêves, quelques heures de répis, avant de reprendre la course à la géométrie, variable les jours J...