dimanche, juillet 16, 2006

FIN-DU-MONDE


Si vous vous promenez un jour dans les rues de Laon, vous accrocherez votre regard sur ce panneau qui somnole à l’ombre de la cathédrale, près de la petite place centrale : ‘Musée – Hospice – Clinique’ sont les trois mots qui, les uns sous les autres, se suivent, mais ne se ressemblent pas. Apparemment. Je vous dis ‘vous’, mais je te dirais ‘tu’ dorénavant. Suis donc le chemin, et perds le en chemin, tu verras, on y arrive facilement.
L’entrée de l’hospice est gratuite, et tu ne trouveras aucun guide pour te commenter les tableaux. Ni même de plaque, de titre, de date. Tout cela fait encore défaut. Toutes les statues en droit de s'y retrouver abritées sont bien là, elles aussi. Diriges-toi alors vers la plus silencieuse de toutes les pièces silencieuses, et en poussant légèrement la porte de celle dont transpire l’impatience laissée par les derniers membres de la famille de vider les lieux, et d’en vider la pièce de tous ses meubles horribles et vieux, tu verras dans la pénombre balbutiante d’un store malmené par un léger vent d’ouest, une petite vieille accrochée au mur. Tu lui donneras, disons, quatre cent ans. La sonate d’automne qui s’échappe de ses lèvres figées n’est ni facile à entendre, ni facile à écouter. Seule la concentration dans ce camp te permettra, avec tes bonnes intentions, immobiles, d’identifier plus qu’un bruit lancinant que tu prenais pour le passage éternel et répétitif d’un diamant sur un même microsillon rayé. Dans la moiteur de l’été, quand la dernière infirmière est partie, et que l’endroit semble laissé à l’abandon, entre les gémissements des portes et de ceux où celles qui les poussent, tu transcriras, comme moi, ceci :
« Avant la fin du monde, je voudrais me lever frais, dispo, léger, juste une fois, juste un matin, ce matin là de fin du monde. Avant la fin du monde, je voudrais déguster dans l’air frais, dispo, léger, quelques croissants, beurrés et de mûres mures confiturés, puis m'enivrer éperdument de melons juteux et craquelés, comme un iguane immonde. Avant la fin du monde, je voudrais goûter l’éternel de la perfection risiblement assouvie, arrêter de faire de moi des confettis, et pouvoir t’écrire des poèmes dépassant ceux de Jules Supervielle, pas beaucoup, ni trois, ni deux, juste un, mon premier dernier poème d’une matinée de fin du monde. Avant la fin du monde, je voudrais te prendre la main, errer dans la lavande, pouvoir me dire que j’y suis parvenu enfin, prendre le pouls au bout de tes doigts, si fins, du monde. Avant la fin du monde, je voudrais juste savoir si celle-ci se produira en plein jour ou de nuit, parce que je veux être réveillé et sûrement pas couché au lit, si c’est une nuit de fin du monde. Avant la fin du monde, je veux nous entendre nous dire -je t'aime-, et que ces mots s’incrustent à la fin de la bobine, celle du film du monde. Avant la fin du monde, je veux pouvoir me rappeler toutes ces treizièmes heures, toutes celles que nous avons passées ensemble en ce bas monde. Avant la fin du monde, je veux m’être brûlé les rétines dans tes yeux, et t’avouer ridicule que c’est peut-être aujourd’hui, la fin du monde. Avant la fin du monde, je veux apprendre par cœur toutes ces lettres que tu as oublié de m’écrire, toutes ces lettres que tu as oublié m’avoir écrites, pour les réciter sans fin, à tout le monde. Avant la fin du monde, je veux que tu sois mienne, et la mienne, ma fin du monde. »
Tu te réveilleras à l’aube, et la petite vieille se sera endormie, la tête penchée sur un côté, celui que tu voudras. Posé sur la couverture qui lui recouvre les jambes, son amant. Photo écornée et jaunie.


[Intra-Muros] [13]

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout simplement magnifique.
Je découvre ton blog, une sensibilité à fleur de peau s'en dégage. Excellente continuation à toi. Tu as du talent au bout des doigts.

D'Arcy a dit…

Merci pour la tienne aussi, 'e' pointé.

Anonyme a dit…

"Quand vs serez bien vieille, le soir, à la chandelle" Pierre. de Ronsard

Tu as raison, le temps passe si vite, dis-lui tout, et tout te sera. Conseil amical de la passante du sans souci.

D'Arcy a dit…

Delie, tu me seduis. Tu lis beaucoup plus loin que ce que j'ai ecrit, tu es donc tres porche du 'pourquoi' de ce que j'ai ecrit.
Je suis un peu bleuffe par ton sens si aigu...

Anonyme a dit…

Continue, fort peu me chaut, qu'on souris tous ensemble ! Tiens, encore une fote d'ortografe ! Por tant, jé bac litté !

Anonyme a dit…

"mon sens si aigu..." ça va V.O. ! ...

Mon sens te dit que si l'on ne laisse pas les vieilles histoires un jour, demain il sera trop tard...

Tant pis ou tant mieux.

A part ça le blog de Metalogos n passe pas. Vs êtes, pr moi, les deux piliers de l'apporche !

Anonyme a dit…

Merci pour ce texte Merci .

Simone

D'Arcy a dit…

Simone> je suis touché par la simplicité de votre message. J'espère qu'entre les lignes de mon texte, vous avez trouvé quelque chose qui vous fait du bien.

Bien amicalement,

Anonyme a dit…

Nice idea with this site its better than most of the rubbish I come across.
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Anonyme a dit…

Hi! Just want to say what a nice site. Bye, see you soon.
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