jeudi, juillet 20, 2006

PROPENSION


Je voudrais que tu me regardes, et que tu m'écoutes jusqu'à la fin dans les yeux. Je voudrais te parler de quelque chose d'important pour moi. Te parler de la propension des choses, cette faculté enfouie en elles, qui fait que ne leur arrivent finalement que ce qui pouvait leur arriver. Leur arriver de mieux ; puisque c'est leur configuration innée, au départ, à l'arrivée. Puisque. Je ne veux pas te parler du destin, que je laisse aux crédules en festin; je veux te parler de la force latente des choses, leur avidité, leur désir immodéré et muet de se rendre vers où leurs sens se tendent, quand quelque chose ou quelqu'un leur délie les mains pour les libérer. J'irai même jusqu'à t'avouer croire en l'émotion des choses.
Je me souviens, enfant, de ce crayon et de cette gomme ; mon sourire triste et entendu quand, bien avant d'avoir actionné ce doigt qui sert à lancer une bille, je regardais la gomme, sachant déjà bien qu'elle n'irait pas bien loin. Le crayon, lui, m'attendait là, il était prêt à accepter le contact avec mon doigt, il était prêt à partager la complicité de celui qui saurait se rendre compte qu'il n'était pas seulement fait pour t’écrire, qu'il était bien plus heureux à rouler sur la table, maintes et maintes fois, et qu'il pourrait même se permettre des variations musicales pour exprimer sa joie, table en métal ou table en bois, chutes verticales, rebonds et silence terminal à plusieurs mètres de moi. J'applaudis. Et toutes ces étoiles, ces cercles, ces gravitations qu'il dessinait sur la persistance de mes rétines quand je lui donnais l'impulsion sur un côté. Nous étions faits pour nous entendre ; j'admirais ses fantaisies, aux antipodes de ce que les autres attendaient, résignés, de lui, et il me le rendait bien. Ce crayon, je l'ai ressorti récemment, après un long sommeil de vingt ans. Il tremblait entre mes doigts.
Si tu me regardes toujours, …, si tu me regardes toujours, je dois t’avouer qu’en fait je voulais te parler de ma propension à t'aimer. Mais là, c'est toi qui m'expliqueras. Pourquoi. Pourquoi toi, et pourquoi moi.


[Intra-Muros] [15]

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Aimer c’est peut-être perdre la raison… perdre les raisons de chacun des « pourquoi »…
à qui sait répondre ne sait pas aimer … je crois…

D'Arcy a dit…

Tu as raison. Sans jeu de mot, d'ailleurs.

Ni d'autre part.

wanchai a dit…

très reussi,
s'adresser au lecteur est très efficace,
tu es doué quand même!

gmc a dit…

parle-t-il réellement au lecteur? est-ce réellement un dialogue? ne serait-ce pas plutôt une vibration en forme de monologue?

D'Arcy a dit…

C'est effectivement une vibration en forme de monologue. Pensant pouvoir la faire partager, j'essaye d'inclure le lecteur dans la reflexion. Qui en est une sans en etre une vraiment, car je suis proche de croire en ce que j'ai ecrit.
Mais GMC avait tout compris.

Ce qui est sur, c'est que je me rend compte que plus j'arrive sur des sujets sensibles pour moi, j'entends emotionnellement dense, plus je cherche a me rapprocher du lecteur pour le faire entrer dans ma confidentialite.

Anonyme a dit…

Chacun parle un monologue où chacun s'écoute, ou, à la rigueur, pour ses raisons propres (ou plus ou moins à lessiver) écoute l'autre... et ainsi de suite...

Quand à l'émotion des choses, mystérieux "hasard" seulement. En fait, je crois à une conscience des choses comme les êtres, en étroite symbiose, et notre devenir est, finalement, lié au ciel plus qu'à notre bon vouloir ...

Très beau texte, mais tu le sais !

Anonyme a dit…

La propension des choses à s'accomplir fait écho à notre propension à accompagner leur accomplissement . L'exactitude mène à la coincidence . Je parle par indicible expérience .
Simone

D'Arcy a dit…

Delieet Simone> Merci pour votre apport a toutes les deux.

L'exactitude mene a la coincidence. Je medite...

Il n'y a pas de ciel,Delie, au dela de celui qui nous couvre, de jour comme de nuit...

Anonyme a dit…

L'exactitude est l'adéquation entre le subjet et son objet, ou à la rugueur, le Maître et son esclave consentend - mais oui, Esclave en majuscule sauf si c'était enclave. Voislà pr l'exactitude...

Anonyme a dit…

Je faisais allusion à l'exactitude de deux sujets libres, ni maitres ni esclaves ...
Simone

D'Arcy a dit…

Vous m'illuminez. Je sens une comprehension febrile qui nait en moi, et qui a rapport a moi, en ce moment. L'exactitude de deux sujets libres. C'est exactement ca...

Anonyme a dit…

Ce que dit l'anonyme Simone , sur la propension des choses à s'accomplir qui fait écho à notre propension à accompagner leur accomplissement ? me semble vrai et essentiel, et l'exactitude (de quoi) mène à la coincidence , peut-etre Simone accepterait -elle de préciser un peu sa pensée ,
la propension est ce un mélange subtil de désir, de volonté, de vouloir-etre?
have a good funny day voiker.

Anonyme a dit…

On ne précise pas une pensée assourçante . On la prophétise . On en làche le cours sonore, poursuivant-poursuivi .

Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

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