mercredi, janvier 10, 2007

FAUTEUIL


Je m'essaye à la mélancolie du présent, la nostalgie de ma vie d’aujourd’hui, dont je me sépare volontaire, sans tambour ni trompettes, au rythme de jours qui sont désormais comptés, et j’anticipe ces moments futurs où quelqu’un d’autre viendra me les conter, avec le regard neuf et incomplet, étrangement distant et caricatural de son œil extérieur, myope, que je pardonne déjà. Car un inconnu, aigle ou vautour, viendra sans aucun doute me demander des comptes, par soif de détails ignorés, ou lors d’une simple inquisition intellectuelle, visite inutile dans les ruines de mon futur passé que je prépare. Maintenant.

Je m’essaye comme vous essaieriez un fauteuil encore neuf et fraîchement déballé, à ceci près que l’exercice auquel je me livre consiste à l’imaginer vétuste, défraîchi, décati et usé, branlant dans un coin mal éclairé du hangar d’un brocanteur. Que me restera-t-il des sensations de cette vie qui va s’estomper, comment revivrai-je parfois en pensées le souvenir du confort de l’assise que j’avais aujourd’hui, comment reverrais-je la place du fauteuil dans la salle à manger, le soulagement, l’apaisement et la tranquillité qu’il apportait également aux autres que moi. Car tout le drame d’une vie est là, peut-être, dans l’asservissement unilatéral du fauteuil que je suis, fus et serais toujours, incapable de tirer le moindre confort de son propre confort, incapable de ne tirer comme autre réconfort que le confort de celles et ceux qui s’assoupissent entre ses bras. Existe-t-il, ce quelqu’un qui aura la présence d’esprit de me soustraire au monde, ne fut-ce qu’un court instant, pour une réfection de circonstance, une restauration, en substance ?

Tendue, ma peau, comme le velours clouté sur le squelette en bois d’un Voltaire.




[Intra-Muros] [34]

12 commentaires:

Anonyme a dit…

une vraie délicatesse, voiker.
néanmoins, une petite nuance: il faut déjà découvrir ce qu'est le présent pour pouvoir supputer une éventuelle future mélancolie...
et si le présent était, par exemple, un instant atemporel?...

D'Arcy a dit…

UN dico donne à 'Atemporel' la définition suivante: "Qui est en dehors du temps", et comme synomyme, 'Intemporel'. 'Intemporel' lui a comme synonyme 'Eternel'. On finit par s'y perdre si l'on colle et recolle sans faire attention les mots à la place des autres dans les phrases ou les idées: un présent atemporel serait-il alors le présent 'éternel' ?

Ce que je conçois, c'est le caractère marginal du présent, qui n'est rien face au passé. La vie est avant tout la somme des passés.

Le présent si marginal dans ma vie est éternellement renouvelé, et sera là même après ma mort. Mon passé, substance de ma vie, disparaitra lui avec mon départ. Troublant contraste.

Anonyme a dit…

Une légende du futur ?

D'Arcy a dit…

Une future légende, pour être précis comme la chirurgie.

Anonyme a dit…

le présent échappe au champ de la pensée (car la pensée ne regarde que le passé...qui n'est même pas le passé mais la mémoire, stockage plus ou moins pérenne que la pensée a construit sur la base de ses interprétations).
s'enfoncer dans l'instant permet de le constater.

Anonyme a dit…

Cet inconnu que tu connais,
Ni aigle ni vautour
Se poserait bien dans le Voltaire
Le temps d'un déjeuner
Avant que ne s'envole
Son ami Volker
BD.

D'Arcy a dit…

GMC> Vivre dans l'instant, privilège des animaux, je pense. L'homme en est-il encore capable, puisque l'action de penser le sort -à mon avis- irrémédiablement du présent ?

BD> Promis Bernard, on se fait un déjeuner avant le fin janvier...

Anonyme a dit…

c'est marrant de s'essayer à la mélancolie du présent, se projeter pour voir de quoi la mélancolie se nourrira dans le futur,avec la peur de perdre toutes les sensations du présent, c'est exactement ce sur quoi j'essaye d'écrire en ce moment, on peut retenir et vivre les instants présents mais l'extase ou l' attachement démesuré au présent est de trop,s'ils ne s'intègrent
pas dans la durée de ta vie et restent en parcelles détachées d'un tout, c'est de cela que va se nourrir la mélancolie , il faut de la patience et de l'amour pour comprendre et se comprendre et ne pas oublier que l'enfant que tu as été est en toi, tu t'envoles quand voiker?

au sens propre, seras-tu là début fevrier , pour discuter de ce fameux voltaire?

D'Arcy a dit…

IF6> C'est loin d'être marrant, tu sais, IF6, ce genre d'exercice... La mélancolie fait souffrir quelque part, mais elle se rapporte à des événements lointains, indéterrables, impalpables au moment où tu les convoques dans tes pensées. Au contraire, anticiper la future mélancolie, c'est se confronter - au présent- avec les éléments, les objets, et les gens, pour lesquels on préssent que leur évocation viendra faire mal, un jour futur.

Extrèmement troublant de se rendre compte que l'on est tout aussi impuissant dans les deux cas.

Pour mon envol, il est programmé, si mes ailes veulent bien fonctionner, pourl'ultime [INTRA-MUROS], numéro 47, évidemment....

Anonyme a dit…

"Est-ce que quelqu'un ..." Je crois plutôt qu'il ne tient qu'à nous de nous remettre en "état", tu as ta plume pour t'aider à changer les couleurs de tes pièces. Le temps ne changera rien à l'affaire, tu épouses les formes de la mélancolie... Ce fauteuil dans lequel tu n'arrives pas vraiment à trouver une position confortable mais que tu gardes précieusement dans ta maison. Enfin, vu de ma fenêtre, j'ai ce point de vue.

D'Arcy a dit…

Eden> Bon point de vue, j'apprécie. Surtout l'expression 'épouse les formes', j'aurais aimé l'avoir en temps et en heure pour la glisser dans mon texte... Je partage ton approche, je suis hélas le seul à pouvoir m'aider. Ce texte est bel et bien un appel dans le vide, comme celui qui cri du haut d'une falaise, et qui n'aura en retour que l'écho de sa voix, les cris des mouettes, le souffle du vent.

Anonyme a dit…

Bonne année a toi!!! avec un peu de retard.... pas souvent sur le net ces temps ci...
meilleurs voeux....a tout les tiens...