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mercredi, juin 27, 2007
lundi, juin 25, 2007
NAPHTA
Jusqu’au goulot des bouteilles, en lieu et place du liège.
Aux premières loges, dès la première lueur, perché sur un monticule d’immondices, un amas de rejets, des rebus par milliers, une montagne de déchets. Ne pas y être enseveli, dans le balai du vent, mes plumes malmenées, étendard endeuillé planté au sommet d’un trône. Le trône. Du royaume de Naphta.
Sur la crête de la décharge, je suis un petit phare noir ridicule observant détaché tous ces restes insensés, -trop nombreux pour sciemment pouvoir donner à leur accumulation sur une étendue si vaste un sens véritablement rassurant sur leur origine, leur raison d’être, la facilité avec laquelle ils sont ainsi reniés, trop colorés pour ne pas manquer de souligner leur inadéquation avec la configuration naturelle des choses, trop précisément calculés dans leurs formes pour ne pas rappeler comme une insulte cette volonté effrénée et effarante de dénigrer aux hasards de la nature, ou à l’inspiration de l’artisan, le droit naturel à l’unicité, trop anodins et médiocres dans leur qualité au toucher sans pour autant, la honte mise de côté, les empêcher de se promouvoir, dans l’ignorance fertile et envahissante qui cancérise les cités, comme l’avènement suprême et ultime aux frontières de la modernité, trop nauséabonds dans leurs effluves au sortir de la production, pour ne pas sourire tristement quand certains vous expliqueront, vantardise convaincue, que cela ‘sent le neuf’- je regarde les ombres de mes pensées battre de l’aile et les écoutent se répondre à elles-mêmes, en ombres chinoises, reflétées dans le silence amorphe, déshumanisé, écervelé, de la paroi blanche et lisse d’une cafetière électrique rebutée, abject objet acté dans le plastique.
Ethylène et Propylène, molécules les plus consommées, enfantées dans le liquide embryonnaire du Naphta par des pères allemand et italien couronnés du prix Nobel de chimie ; Naphta originel, unité de base de la pétrochimie, substance même de la non-substance qu’elle incarne, que l’on en tire, qui nous désincarne. Comme des sangsues assoiffées du sang organiquement mort de la terre, usines et procédés du culte de Naphta remplacent la matière noble et les arts millénaires qui grandirent dans le respect des traditions, du temps qu’il faut au temps pour bien faire, des heures passées sur l’établi qui faisaient du moindre objet une œuvre génétiquement unique, l’expression isolée et sentimentale de celui qui l’a réalisée, une œuvre où chacune de ses pensées se retrouve emprise dans les contours d’un broc, d’une lampe, d’une table de chevet ; le respect des heures passées qui se fait gage de la convergence humaine entre celui qui créée et celui qui recevra, ce lien des heures passées qui crée l’essence de la chose, qui enroule autour de lui dans le silence et pour toujours les risques affrontés et vaincus, les doutes du créateur, la magie des doigts, les blessures parfois, et toujours le plaisir de s’investir pour un autre.
Ars, artis, du plus profond des cavernes de la langue où la flamme de l’expression vacille et cherche son assurance, artisan ou artiste, deux mots écartelés dont les sens un instant, l’espace de quelques siècles anciens alourdis d’armures et d’épées, de royaumes et de châteaux forts, ne firent qu’un.
Aux premières loges, dès la première lueur, perché sur un monticule d’immondices, un amas de rejets, des rebus par milliers, une montagne de déchets. Ne pas y être enseveli, dans le balai du vent, mes plumes malmenées, étendard endeuillé planté au sommet d’un trône. Le trône. Du royaume de Naphta.
Sur la crête de la décharge, je suis un petit phare noir ridicule observant détaché tous ces restes insensés, -trop nombreux pour sciemment pouvoir donner à leur accumulation sur une étendue si vaste un sens véritablement rassurant sur leur origine, leur raison d’être, la facilité avec laquelle ils sont ainsi reniés, trop colorés pour ne pas manquer de souligner leur inadéquation avec la configuration naturelle des choses, trop précisément calculés dans leurs formes pour ne pas rappeler comme une insulte cette volonté effrénée et effarante de dénigrer aux hasards de la nature, ou à l’inspiration de l’artisan, le droit naturel à l’unicité, trop anodins et médiocres dans leur qualité au toucher sans pour autant, la honte mise de côté, les empêcher de se promouvoir, dans l’ignorance fertile et envahissante qui cancérise les cités, comme l’avènement suprême et ultime aux frontières de la modernité, trop nauséabonds dans leurs effluves au sortir de la production, pour ne pas sourire tristement quand certains vous expliqueront, vantardise convaincue, que cela ‘sent le neuf’- je regarde les ombres de mes pensées battre de l’aile et les écoutent se répondre à elles-mêmes, en ombres chinoises, reflétées dans le silence amorphe, déshumanisé, écervelé, de la paroi blanche et lisse d’une cafetière électrique rebutée, abject objet acté dans le plastique.
Ethylène et Propylène, molécules les plus consommées, enfantées dans le liquide embryonnaire du Naphta par des pères allemand et italien couronnés du prix Nobel de chimie ; Naphta originel, unité de base de la pétrochimie, substance même de la non-substance qu’elle incarne, que l’on en tire, qui nous désincarne. Comme des sangsues assoiffées du sang organiquement mort de la terre, usines et procédés du culte de Naphta remplacent la matière noble et les arts millénaires qui grandirent dans le respect des traditions, du temps qu’il faut au temps pour bien faire, des heures passées sur l’établi qui faisaient du moindre objet une œuvre génétiquement unique, l’expression isolée et sentimentale de celui qui l’a réalisée, une œuvre où chacune de ses pensées se retrouve emprise dans les contours d’un broc, d’une lampe, d’une table de chevet ; le respect des heures passées qui se fait gage de la convergence humaine entre celui qui créée et celui qui recevra, ce lien des heures passées qui crée l’essence de la chose, qui enroule autour de lui dans le silence et pour toujours les risques affrontés et vaincus, les doutes du créateur, la magie des doigts, les blessures parfois, et toujours le plaisir de s’investir pour un autre.
Ars, artis, du plus profond des cavernes de la langue où la flamme de l’expression vacille et cherche son assurance, artisan ou artiste, deux mots écartelés dont les sens un instant, l’espace de quelques siècles anciens alourdis d’armures et d’épées, de royaumes et de châteaux forts, ne firent qu’un.
Jusqu’au goulot des bouteilles,
en lieu et place du liège.
[Intra-Muros] [45]
mercredi, juin 20, 2007
ON-STAGE
Au Connetable hier soir, au 55 rue des Archives.
Il vous reste encore une éclaircie, mardi prochain...
Il vous reste encore une éclaircie, mardi prochain...
vendredi, juin 15, 2007
ECHEC
C’était grotesque, vous me direz ; perdu d’avance. Ne prenez pas ça pour du défaitisme de ma part, c’est une manière pour moi de vous faire rentrer dans une sorte de proximité, de camaraderie, qui vous prépare une sortie, qui vous donnera le sentiment de vous rapprocher de moi même si, -mais je hurle à l’idée que tel sera le cas-, cette phrase si banale au premier abord viendra faire en sorte que nous ne puissions jamais être autre que de bons amis. Laissez moi d’abord vous raconter ma rencontre avec lui, au 3ème sous-sol du parking de sa société, grand groupe français qui aligne sur la façade de ses bureaux parisiens les plaques de certains des noms les plus prestigieux de la mode internationale et quelques enseignes de distribution.
Je ne connais pas l’homme, je sais simplement ce qu’il fait. C’est cette vague différence que je fais entre les deux, ce maigre espoir fondé sur la certitude que tout soldat ne tue pas par gaîté de coeur, qu’il arrive un moment ou l’absurde d’une situation prend le pas sur la croyance en ce rôle vital que l’on s’est imaginé y jouer ; cette vague différence qui me laisse souvent, et à tord, l’illusion qu’il existe chez l’autre une place, un interstice où la graine d’une réflexion peut germer, si je l’arrose, même si j’ignore tout du temps qu’il fait à l’intérieur.
Maigres sont les chances pour une idée de suivre son chemin si celle-ci n’est pas bien amenée ; par là, ce n’est pas la structure de la démonstration, la pertinence des exemples, le ton convaincant employé, la probité du cheminement intellectuel dont je veut souligner une quelconque importance ; par là, je souhaite mettre en avant la sincérité de celui qui transmet un message, l’authenticité avec laquelle il se mettra a nu avant d’aborder le fond de sa pensée, le mélange intensément discret d’humilité et de profondeur désintéressée, cette façon d’écouter du regard, cette manière non pas de parler avec ses tripes, mais de parler avec ses os ; et plus loin encore, cette manière de s’effacer et effacer le désir de convaincre, puisque tel n’est pas l’objectif, puisque d’objectif il n’est point, puisque ce mot lui-même n’a pas sa place, n’aurait peut-être jamais dû en avoir, d’ailleurs, ici ou ailleurs. La pluie ne tombe pas pour faire pousser les graines.
Il, sort de sa voiture, l’esprit visiblement dans ses dossiers, absent du présent, catapulté déjà dans les premiers instants d’une réunion qu’il a programmée quelques étages plus haut. Il valide aujourd’hui plusieurs semaines de travail intense, missionné par sa direction, pour centraliser certains services généraux en région parisienne, cure d’amaigrissement salarial un peu partout sur une soixantaine de sites en France, réduction des coûts internes, optimisation des ressources, centrage sur la valeur-ajoutée, suppression de quelques centaines de postes ; je lis dans ses gestes rapides la certitude inattaquable d’être sur la bonne voie, celle de la réussite d’un projet dont il était le chef ; l’excitation à l’idée d’une reconnaissance prochaine par la direction dans une phrase, un sourire, une poignée de main, une hausse de salaire, une prochaine affectation sur une mission encore plus importante pour l’entreprise ; l’autosatisfaction qu’il anticipe déjà de ce que lui percevra chez les autres comme du respect et de l’admiration ; la sécurisation de son plan de carrière, la mise à l’abri financière de sa famille, l’orgueil d’avoir su mettre ses capacités intellectuelles au service de la réussite financière de l’entreprise, le soulagement d’être rassuré sur sa propre place du bon côté de la barrière, la manière dont il pourra briller auprès de ses beaux-parents un prochain dimanche, la joie de partir bientôt pour des vacances méritées à Djerba. A trente-cinq ans, il est convaincu de la nécessaire mutation de sa société dont il veut être un acteur montant.
Il est un univers fermé, sa réalité est une vision conceptuelle et fonctionnelle de l’entreprise, il n’existe aucun pont lui permettant de franchir une barrière qu’il n’a de cesse de consolider. Il est le suicideur des autres, renforce sa perception du monde en lisant les Echos et le Financial Times à bord des avions, saurait même vous attendrir en vous vantant les valeurs du commerce équitable et en vous confiant son rêve de travailler pour une ONG dans une prochaine vie.
Un violent coup de classeur me déloge du rétroviseur, je n’ai même pas eu le temps d’entamer la conversation. Je me dépose une vingtaine de mètres plus loin et le regarde ; à la recherche de maudites traces de griffes, une phrase inaudible et coléreuse accompagne l’examen rapide du rétroviseur de sa belle voiture allemande.
Je ne connais pas l’homme, je sais simplement ce qu’il fait. C’est cette vague différence que je fais entre les deux, ce maigre espoir fondé sur la certitude que tout soldat ne tue pas par gaîté de coeur, qu’il arrive un moment ou l’absurde d’une situation prend le pas sur la croyance en ce rôle vital que l’on s’est imaginé y jouer ; cette vague différence qui me laisse souvent, et à tord, l’illusion qu’il existe chez l’autre une place, un interstice où la graine d’une réflexion peut germer, si je l’arrose, même si j’ignore tout du temps qu’il fait à l’intérieur.
Maigres sont les chances pour une idée de suivre son chemin si celle-ci n’est pas bien amenée ; par là, ce n’est pas la structure de la démonstration, la pertinence des exemples, le ton convaincant employé, la probité du cheminement intellectuel dont je veut souligner une quelconque importance ; par là, je souhaite mettre en avant la sincérité de celui qui transmet un message, l’authenticité avec laquelle il se mettra a nu avant d’aborder le fond de sa pensée, le mélange intensément discret d’humilité et de profondeur désintéressée, cette façon d’écouter du regard, cette manière non pas de parler avec ses tripes, mais de parler avec ses os ; et plus loin encore, cette manière de s’effacer et effacer le désir de convaincre, puisque tel n’est pas l’objectif, puisque d’objectif il n’est point, puisque ce mot lui-même n’a pas sa place, n’aurait peut-être jamais dû en avoir, d’ailleurs, ici ou ailleurs. La pluie ne tombe pas pour faire pousser les graines.
Il, sort de sa voiture, l’esprit visiblement dans ses dossiers, absent du présent, catapulté déjà dans les premiers instants d’une réunion qu’il a programmée quelques étages plus haut. Il valide aujourd’hui plusieurs semaines de travail intense, missionné par sa direction, pour centraliser certains services généraux en région parisienne, cure d’amaigrissement salarial un peu partout sur une soixantaine de sites en France, réduction des coûts internes, optimisation des ressources, centrage sur la valeur-ajoutée, suppression de quelques centaines de postes ; je lis dans ses gestes rapides la certitude inattaquable d’être sur la bonne voie, celle de la réussite d’un projet dont il était le chef ; l’excitation à l’idée d’une reconnaissance prochaine par la direction dans une phrase, un sourire, une poignée de main, une hausse de salaire, une prochaine affectation sur une mission encore plus importante pour l’entreprise ; l’autosatisfaction qu’il anticipe déjà de ce que lui percevra chez les autres comme du respect et de l’admiration ; la sécurisation de son plan de carrière, la mise à l’abri financière de sa famille, l’orgueil d’avoir su mettre ses capacités intellectuelles au service de la réussite financière de l’entreprise, le soulagement d’être rassuré sur sa propre place du bon côté de la barrière, la manière dont il pourra briller auprès de ses beaux-parents un prochain dimanche, la joie de partir bientôt pour des vacances méritées à Djerba. A trente-cinq ans, il est convaincu de la nécessaire mutation de sa société dont il veut être un acteur montant.
Il est un univers fermé, sa réalité est une vision conceptuelle et fonctionnelle de l’entreprise, il n’existe aucun pont lui permettant de franchir une barrière qu’il n’a de cesse de consolider. Il est le suicideur des autres, renforce sa perception du monde en lisant les Echos et le Financial Times à bord des avions, saurait même vous attendrir en vous vantant les valeurs du commerce équitable et en vous confiant son rêve de travailler pour une ONG dans une prochaine vie.
Un violent coup de classeur me déloge du rétroviseur, je n’ai même pas eu le temps d’entamer la conversation. Je me dépose une vingtaine de mètres plus loin et le regarde ; à la recherche de maudites traces de griffes, une phrase inaudible et coléreuse accompagne l’examen rapide du rétroviseur de sa belle voiture allemande.
[Intra-Muros] [44]
mardi, juin 12, 2007
lundi, juin 11, 2007
EXTRACTIONS-SOIXANTE-ET-UN
----- Hermann Hesse / Le loup des steppes
----- Calmann-Levy, 2004 /\ Der Steppenwolf, 1927
« Celui qui désire vivre aujourd’hui en se sentant pleinement heureux n’a pas le droit d’être comme toi ou moi. Celui qui réclame de la musique et non des mélodies de pacotille ; de la joie et non des plaisirs passagers ; de l’âme et non de l’argent ; un travail véritable et non une agitation perpétuelle ; des passions véritables et non des passe-temps amusants, n’est pas chez lui dans ce monde ravissant… »
lundi, juin 04, 2007
SIRENES
Les battements désordonnés du cœur des mouettes, les virages accidentés qui rythmaient leur vol, donnant cette illusion qu’un enfant malsain les télécommandait à distance, armé d’une méchanceté ludique si caractéristique à son âge, que l’on croît disparaître au fur et à mesure qu’il grandit, que l’on retrouvera plus tard jusque dans les faits les plus anodins de sa vie, ce petit goût de vinaigre résiduel dans chaque être humain, si aisément décelable, sans diplôme d’œnologie, chez ceux qui ne cachent plus au combien ils sont aigris.
Les mouettes, gueules ouvertes, tentant désespérées, tels des fantômes insomniaques qui hésitent, essayent puis renoncent à vouloir enfin tout raconter, de rattraper le cri qu’elles viennent tout juste d’expulser, dans la sonorité froide du gris du ciel dont elles ne peuvent ni se détacher ni se montrer propriétaire, existences déposées là dans le hasard des steppes aériennes comme les arbres torturés qui saupoudrent la Sibérie des mêmes ombres accusées, plus rongées encore peut-être de l’intérieur que les coques de ces bateaux sombrés qui tentent de définir, sans oser négocier, la manière dont ils vont bien pouvoir dorénavant trouver leur place.
Comment s’appelle-t-elle, cette douce sirène qui chante dans les vagues insolentes et envoya par le fond drakkars et goélettes, rafiaux et galions, trois mâts et humbles voiliers, navires de guerre et leurs armées, esclaves et marins, pirates et marchands, corsaires et flibustiers, antiques épaves célèbres et oubliées, dans le déchaînement des éléments naturels, des boulets, des torpilles, des avions kamikase.
Comment s’appelle-t-elle, cette douce sirène qui chante dans les vagues indolentes et échoue pour de bon tankers et pétroliers, transporteurs d’hydrocarbures bruts ou raffinés, qui se pâme comme une veuve libérée dans l’écharpe mortuaire qui s’échappe du corbillard, robe de deuil recouvrant toutes les tombes, épargnant, seuls, certains rochers plus élevés qui s’extirpent dans l’effort pour respirer et qui semblent tendre, le regard halluciné, une main vers le ciel pour demander secours au divin.
Comment s’appelle-t-elle, cette douce sirène qui chante aux oreilles des princes du Moyen-Orient, pour qu’ils saignent la terre de son sang d’ébène, arpentant les mers de sable un faucon perché sur le bras, aussi sacré pour eux que l’embonpoint d’opulence et d’orgueil qui les trahit délibérément; qui chante aux oreilles des princes de l’industrie, spécialistes de la transfusion, pour qu’ils éclaboussent les côtes avec le sang froid, le détachement et le sentiment de culpabilité d’un tueur à gages entre deux basses besognes.
Les mouettes, gueules ouvertes, tentant désespérées, tels des fantômes insomniaques qui hésitent, essayent puis renoncent à vouloir enfin tout raconter, de rattraper le cri qu’elles viennent tout juste d’expulser, dans la sonorité froide du gris du ciel dont elles ne peuvent ni se détacher ni se montrer propriétaire, existences déposées là dans le hasard des steppes aériennes comme les arbres torturés qui saupoudrent la Sibérie des mêmes ombres accusées, plus rongées encore peut-être de l’intérieur que les coques de ces bateaux sombrés qui tentent de définir, sans oser négocier, la manière dont ils vont bien pouvoir dorénavant trouver leur place.
Comment s’appelle-t-elle, cette douce sirène qui chante dans les vagues insolentes et envoya par le fond drakkars et goélettes, rafiaux et galions, trois mâts et humbles voiliers, navires de guerre et leurs armées, esclaves et marins, pirates et marchands, corsaires et flibustiers, antiques épaves célèbres et oubliées, dans le déchaînement des éléments naturels, des boulets, des torpilles, des avions kamikase.
Comment s’appelle-t-elle, cette douce sirène qui chante dans les vagues indolentes et échoue pour de bon tankers et pétroliers, transporteurs d’hydrocarbures bruts ou raffinés, qui se pâme comme une veuve libérée dans l’écharpe mortuaire qui s’échappe du corbillard, robe de deuil recouvrant toutes les tombes, épargnant, seuls, certains rochers plus élevés qui s’extirpent dans l’effort pour respirer et qui semblent tendre, le regard halluciné, une main vers le ciel pour demander secours au divin.
Comment s’appelle-t-elle, cette douce sirène qui chante aux oreilles des princes du Moyen-Orient, pour qu’ils saignent la terre de son sang d’ébène, arpentant les mers de sable un faucon perché sur le bras, aussi sacré pour eux que l’embonpoint d’opulence et d’orgueil qui les trahit délibérément; qui chante aux oreilles des princes de l’industrie, spécialistes de la transfusion, pour qu’ils éclaboussent les côtes avec le sang froid, le détachement et le sentiment de culpabilité d’un tueur à gages entre deux basses besognes.
Sirènes et naufrages, mouettes & Chandon, le carburant sur leurs plumes est encore plus noir que vous ne le pensez.
[Intra-Muros] [43]
dimanche, juin 03, 2007
EXTRACTIONS-SOIXANTE
----- Julien Gracq / Un balcon en forêt
----- Librairie José Corti, 1958
« Le théâtre de la guerre… songea Grange. Le mot n’est pas si mal trouvé. Ce qui l’étonnait, c’était cette enflure brutale, cette manière tonitruante, tintamarresque, de planter le décor, et puis soudain cet oubli, ce vide – comme d’un ivrogne qui cogne sur la table à la fendre en deux, puis cherche obscurément du fond de ses brumes à se rappeler à qui au juste il en avait. »
mercredi, mai 30, 2007
TOCSIN
L'éveil, d’une certitude, ce genre de choses sur lesquelles on ne revient pas, la formulation d’une évidence, à force de se répéter, comme un glaçon qui parcourt les artères et les veines, et qui revient périodiquement s’échoir dans le fond du cœur pour se heurter à ses parois, lui arrachant des vibrations et un son étouffé par trop similaire à celui d’une coque heurtant un banc de sable, comme le tocsin brumeux dans un village de haute montagne où à chaque décès c’est presque comme si l’on enterrait la moitié du village ; tocsin qui souligne si bien qu’ainsi va la vie, et que personne ne pourra rien y faire.
Libéré des horizontales, je me transporte de verticale en verticale, je vole de clocher en clocher, des églises où les prêtres n’officient plus qu’une fois par mois, des manoirs clandestins à eux-mêmes, aux bois qui les entourent, aux ronces naturelles et surnaturelles, clôtures et barbelés, qui les empêchent à jamais de revenir au village, pigeonniers abandonnés aux hiboux et aux rats, qui trônent hauts et massifs dans des cours de ferme aux rustines insultantes faites de tôles et de parpaings, où les vieux sont semble-t-il déjà morts plusieurs fois, dans l’indifférence des écrans, à coup sûr bientôt tous plats, cheminées d’usine où plus rien ne s’usine, où le métronome du délire humain s’est arrêté, rouillé, entre deux va-et-vient des godets qui s’inversaient puis déversaient un métal en fusion promis bientôt au laminage, comme tout le reste, comme tous ceux qui restent, tous ceux qui partirent et tous ceux qui partiront demain poursuivre ici ou ailleurs, dans la démesure, l’apprentissage plus très sorcier de l’irréalité sociale.
Je n’ai rien contre les métronomes, bien au contraire ; ils évitent que la musique ne s’emballe, ou que celle-ci ne s’embourbe ; ils permettent surtout que l’œuvre, d’une vie, puisse vibrer d’une même homogénéité, quel que soit l’artiste qui l’exécute, à l’oreille qui l’écoute, assidue ou distraite. En vérité, même sur un tempo « inadapté », on peut, sincère, apprécier la virtuosité de l’interprète ; changer d’adjectif, s’ouvrir et préférer « inattendu ».
C’était avant la suppression des métronomes et la libéralisation du marché des partitions, la généralisation des blanches -qui nécessitent moins d’encre que les noires à l’impression-, la suppression des portées, réduites à une seule ligne, la disparition des armures, trop lourdes à porter, la standardisation des clés, une seule suffisait, puis plus aucune puisque tout le monde savait de laquelle on parlait.
C’était avant que tout ne commence à sonner faux ; c’était malheureusement après que les gens ne puissent plus se rendre compte à quel point ils étaient devenus sourds.
Libéré des horizontales, je me transporte de verticale en verticale, je vole de clocher en clocher, des églises où les prêtres n’officient plus qu’une fois par mois, des manoirs clandestins à eux-mêmes, aux bois qui les entourent, aux ronces naturelles et surnaturelles, clôtures et barbelés, qui les empêchent à jamais de revenir au village, pigeonniers abandonnés aux hiboux et aux rats, qui trônent hauts et massifs dans des cours de ferme aux rustines insultantes faites de tôles et de parpaings, où les vieux sont semble-t-il déjà morts plusieurs fois, dans l’indifférence des écrans, à coup sûr bientôt tous plats, cheminées d’usine où plus rien ne s’usine, où le métronome du délire humain s’est arrêté, rouillé, entre deux va-et-vient des godets qui s’inversaient puis déversaient un métal en fusion promis bientôt au laminage, comme tout le reste, comme tous ceux qui restent, tous ceux qui partirent et tous ceux qui partiront demain poursuivre ici ou ailleurs, dans la démesure, l’apprentissage plus très sorcier de l’irréalité sociale.
Je n’ai rien contre les métronomes, bien au contraire ; ils évitent que la musique ne s’emballe, ou que celle-ci ne s’embourbe ; ils permettent surtout que l’œuvre, d’une vie, puisse vibrer d’une même homogénéité, quel que soit l’artiste qui l’exécute, à l’oreille qui l’écoute, assidue ou distraite. En vérité, même sur un tempo « inadapté », on peut, sincère, apprécier la virtuosité de l’interprète ; changer d’adjectif, s’ouvrir et préférer « inattendu ».
C’était avant la suppression des métronomes et la libéralisation du marché des partitions, la généralisation des blanches -qui nécessitent moins d’encre que les noires à l’impression-, la suppression des portées, réduites à une seule ligne, la disparition des armures, trop lourdes à porter, la standardisation des clés, une seule suffisait, puis plus aucune puisque tout le monde savait de laquelle on parlait.
C’était avant que tout ne commence à sonner faux ; c’était malheureusement après que les gens ne puissent plus se rendre compte à quel point ils étaient devenus sourds.
Sourds à lier.
[Intra-Muros] [42]
mardi, mai 22, 2007
EXTRACTIONS-CINQUANTE-NEUF
----- François Mauriac / Le Fleuve de feu
----- Bernard Grasset, 1923
« On ne sait pas tout ce que l’enfance en se retirant laisse en nous de débris. Ah ! faux sentiments, «mysticaillerie»…
EXTRACTIONS-CINQUANTE-HUIT
----- Julien Gracq / La presqu'île
----- Librairie José Corti, 1970
« Quand l’œil désoeuvré plonge d’un balcon la nuit, à travers la rue, dans une pièce éclairée dont on a oublié de clore les rideaux, on voit des silhouettes qui semblent flottées sur une eau lente se déplacer aussi incompréhensiblement que des pièces d’échecs dans l’aquarium de cet intérieur inconnu. »
IAN-C
When routine bites hard,
and ambitions are low,
And resentment rides high,
but emotions won't grow...
and ambitions are low,
And resentment rides high,
but emotions won't grow...
dimanche, mai 20, 2007
SE-METTRE-EN-QUATRE
Je suis convié par Saint-Rich à répondre à un petit questionnaire littéraire.
Voici alors les réponses que je ferais:
Les 4 livres de mon enfance :
5 semaines en ballon // Jules Verne
Dix petits nègres // Agatha Christie
Le Petit prince // A. de St Exupery
Le Chateau de ma mère // Marcel Pagnol
Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore :
Julien Gracq
Philip K. Dick
Stanilaw Lem
Asimov
Les 4 auteurs que je ne lirai probablement plus jamais :
Nothomb
BHL
Les Apôtres
W. Burrough
Les 4 premiers livres de ma liste à lire :
Le loup des steppes // H. Hesse (en cours)
La ferme des animaux // G. Orwell (acheté)
Mort à Crédit // Céline (acheté) (*)
Sade et la loi // François Ost (acheté)
Les 4 livres que j'emporterais sur une île déserte :
A la recherche du temps perdu // Proust, puisque j'aurai enfin le temps...
Le Coran, par esprit d'ouverture, puisqu'il faut du temps...
Les contes de Terremer // Ursula le Guin, pour réver, j'aurai le temps...
Le rivage des Syrthes // J. Gracq, pour l'amour de la littérature...
Les derniers mots d'un de mes livres préférés :
"Une nuit, mes vêtements s’embrasèrent. Je me maintins au niveau de la cendre pendant quelques temps, en grelottant et en pleurnichant. Disons quatre ou cinq ans encore. Il m’arrivait d’émettre des gémissements pour faire semblant de parler avec le vent, mais plus personne ne s’adressait à moi. Disons que j’avais été le dernier, cette fois-là. Disons cela et n’en parlons plus."
Des anges mineurs // A. Volodine
Les 4 lecteurs dont j'aimerais connaître les 4 :
IF6, Cheval Blanc, Kamisama, Eden...
(*) Etonnant, St-Rich, non ?
Voici alors les réponses que je ferais:
Les 4 livres de mon enfance :
5 semaines en ballon // Jules Verne
Dix petits nègres // Agatha Christie
Le Petit prince // A. de St Exupery
Le Chateau de ma mère // Marcel Pagnol
Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore :
Julien Gracq
Philip K. Dick
Stanilaw Lem
Asimov
Les 4 auteurs que je ne lirai probablement plus jamais :
Nothomb
BHL
Les Apôtres
W. Burrough
Les 4 premiers livres de ma liste à lire :
Le loup des steppes // H. Hesse (en cours)
La ferme des animaux // G. Orwell (acheté)
Mort à Crédit // Céline (acheté) (*)
Sade et la loi // François Ost (acheté)
Les 4 livres que j'emporterais sur une île déserte :
A la recherche du temps perdu // Proust, puisque j'aurai enfin le temps...
Le Coran, par esprit d'ouverture, puisqu'il faut du temps...
Les contes de Terremer // Ursula le Guin, pour réver, j'aurai le temps...
Le rivage des Syrthes // J. Gracq, pour l'amour de la littérature...
Les derniers mots d'un de mes livres préférés :
"Une nuit, mes vêtements s’embrasèrent. Je me maintins au niveau de la cendre pendant quelques temps, en grelottant et en pleurnichant. Disons quatre ou cinq ans encore. Il m’arrivait d’émettre des gémissements pour faire semblant de parler avec le vent, mais plus personne ne s’adressait à moi. Disons que j’avais été le dernier, cette fois-là. Disons cela et n’en parlons plus."
Des anges mineurs // A. Volodine
Les 4 lecteurs dont j'aimerais connaître les 4 :
IF6, Cheval Blanc, Kamisama, Eden...
(*) Etonnant, St-Rich, non ?
[Recadrage] [11]
jeudi, mai 10, 2007
EXTRACTIONS-CINQUANTE-SEPT
----- François Mauriac / Un adolescent d'autrefois
----- Flammarion, 1982
« Je me retrouvais dans cette ténèbre lactée d’un soir de lune, te que je suis toujours en ces heures-là, attentif au ruissellement de la Hure, à cette calme nuit murmurante, pareille à toutes les nuits, à cette même clarté qui baignera la pierre sous laquelle le corps que je fus finira par pourrir. Ce temps qui coule comme la Hure et la Hure est là toujours et sera là encore et continuera de couler… Et c’est à hurler d’horreur. Comment font les autres ? Ils n’ont pas l’air de savoir. »
mercredi, mai 09, 2007
EN-VADROUILLE...

Week-end passé du côté de chez Olivier, loin des grandes villes, loin de tout.
à cent mètres de la frontière belge.
[Recadrage] [10]
mercredi, mai 02, 2007
EXTRACTIONS-CINQUANTE-SIX
----- Julien Gracq / Un Beau Ténébreux
----- Librairie José Corti, 1945
« Là pourtant serait peut-être le seul crime sans rachat : dans une vie gâchée, rognée, rongée par la paresse, la peur, le scrupule calculateur. L’anéantissement minutieux et quotidien des possibilités offertes. Et, pour en finir, cet étouffement, justifié par un moelleux système de scepticisme. Ce qui commence par « Je me hâtais de déplaire exprès, par crainte de déplaire naturellement » (Mauriac) continue par « Je me hâtais d’échouer exprès, par crainte d’échouer naturellement », et pourrait se terminer un jour par : « Je me hâtai de mourir exprès, par crainte de mourir naturellement » (une phrase d’excellent comique). Rien de plus propre peut-être à épuiser une vie qu’une telle combinaison de l’orgueil et de la lâcheté (« Cela finira mal »). »
jeudi, avril 26, 2007
EPAISSEUR
Arc-en-ciel envoûtant dont l’opacité fragile adoucit les couleurs et en fragilise la présence, posé sans effort apparent entre un bosquet échoué, au teint sombre, et la limite convergente de l’horizon, comme l’élément perdu de la voûte d’une gigantesque église romane, et à la réflexion les formes mystiques de ces symboles spirituels érodées par le temps et la science en tirèrent peut-être leur inspiration originelle ; qui se révèle éphémère et inatteignable, proche par la facilité avec laquelle on peut le pointer de l’index, mais loin d’avoir encore jamais été touché par n’importe quel autre doigt, arceau sans épaisseur, en équilibre immobile sur sa tranche, un ruban courbe et coloré, comme un tatouage sur la peau du ciel; comme l’une des portes d’un jeu de croquet, attendant que la lune ne tente de le franchir, tête roulante, tête baissée ; comme un marque-page abandonné au beau milieu d’un pré.
Ici, plus rien pour vous n’aurait d’épaisseur ; pourtant dans le pays des airs, dans ce désert de dunes de courants d’air, où seules parfois quelques feuilles perdues, la fumée des usines et certains de mes congénères révèlent par leur trajectoire toute la richesse invisible de cette mer aux vagues oxygénées, son caractère accidenté et fortuit, ses pentes inopinées, ses collines impromptues, ses dénivelés inattendus qui se chevauchent et s’entrecroisent, au grès desquels dérivent, consistants, fantomatiques et déformés, sereins quant à leur destinée aux visages multiples, les balcons du ciel.
Les ailes déployées, je découvre dans les couches aériennes azurées cette épaisseur que je m’étais tant cachée, que tant ont besoin d'ignorer, qui s’entrebâillait quelquefois dans le silence des non-dits, quand à la marge de cette vie signalisée, je sentais poindre dans certains regards, dans certaines positions incertaines des doigts, le reflet chaotique d’une vérité.
C’était à l’époque où les secondes urgentes de marbre laissaient l’intuition suggérer en moi les prémices balbutiés d’une explication quant à l’existence des poissons volants.
Ici, plus rien pour vous n’aurait d’épaisseur ; pourtant dans le pays des airs, dans ce désert de dunes de courants d’air, où seules parfois quelques feuilles perdues, la fumée des usines et certains de mes congénères révèlent par leur trajectoire toute la richesse invisible de cette mer aux vagues oxygénées, son caractère accidenté et fortuit, ses pentes inopinées, ses collines impromptues, ses dénivelés inattendus qui se chevauchent et s’entrecroisent, au grès desquels dérivent, consistants, fantomatiques et déformés, sereins quant à leur destinée aux visages multiples, les balcons du ciel.
Les ailes déployées, je découvre dans les couches aériennes azurées cette épaisseur que je m’étais tant cachée, que tant ont besoin d'ignorer, qui s’entrebâillait quelquefois dans le silence des non-dits, quand à la marge de cette vie signalisée, je sentais poindre dans certains regards, dans certaines positions incertaines des doigts, le reflet chaotique d’une vérité.
C’était à l’époque où les secondes urgentes de marbre laissaient l’intuition suggérer en moi les prémices balbutiés d’une explication quant à l’existence des poissons volants.
Bien, bien au-delà du simple plaisir de voler.
[Intra-Muros] [41]
jeudi, avril 19, 2007
mercredi, avril 18, 2007
EXTRACTIONS-CINQUANTE-CINQ
----- Kurt Vonnegut / Les sirènes de Titan
----- Denoël, Présence du Futur, 1962 /\ "The sirens of Titan", 1959
« Une année de Tralfamadore, d’après ses calculs, correspondait à 36 162 fois la durée d’une année terrestre. La cérémonie à laquelle il avait participé avait donc été donnée en l’honneur d’un gouvernement vieux de 361 620 000 années terrestres. Salo décrit cette forme durable de gouvernement comme étant de l’anarchie hypnotique, mais il a refusé à expliquer son fonctionnement. »
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